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ANALYSES. bradley. The principles of Logic.

unisse les deux ? — (c). Le jugement n’est pas une assertion qui affirme que le sujet et le prédicat sont identiques ou égaux. Cette troisième erreur est la plus dangereuse de toutes. C’est elle qui fonde toute l’analytique nouvelle par la théorie de la quantification du prédicat. Elle mérite donc un examen attentif et minutieux.

Deux choses sont possibles. On affirme : ou 1o que le sujet et le prédicat sont égaux en quantité ; ou 2o qu’ils le sont en qualité. 1o Dire que tous les nègres = quelques hommes, c’est comme si l’on disait que 2 = 12 — 10 ; de plus on ne peut pas toujours quantifier ainsi le prédicat, car alors quand Bradley dit : Tout jugement = quelque non-équation, ce serait comme s’il disait que diviser deux fois le même nombre par 2 ne donne pas toujours la même quantité. — Mais l’auteur ne s’aperçoit pas que cela ne prouve qu’une chose, c’est que sa théorie est antithétique à celle de Hamilton. Il y a là une faute de logique évidente. Quant au fond, il n’est pas moins erroné. Toute proposition universelle affirmative peut certainement se quantifier comme l’a voulu Hamilton, et comme l’a cru la scolastique tout entière.

2o Si c’est en qualité que le sujet et le prédicat sont déclarés égaux, ils deviennent alors identiques et ne différent plus que par leur nom. On dit alors absolument que tous les nègres = quelques hommes, mais quelques hommes non-nègres, de sorte que quelques hommes se trouve à la fois égaler et n’égaler pas non-nègres, ce qui est absurde. — Cette critique, à notre sens, dérisoire, prouve qu’en aucun cas la copule est ne peut être remplacée, comme le voudrait la nouvelle logique, par le signe = expression d’une égalité absolue. Il faut admettre, comme l’a très profondément montré M. Lachelier (loc. cit.), qu’il y a dans notre esprit toute une série de jugements qui portent sur la qualité des choses qui expriment en dernière analyse des sensations et sont irréductibles à la pure identité. — L’auteur, poursuivant sa critique, montre très bien que les partisans de la quantification du prédicat doivent aboutir à enfermer leur parole et leur pensée dans l’affirmation d’une identité fondamentale de la forme AB = AB. C’est aussi entièrement notre avis. Le monisme le plus vide est au fond de cette théorie d’apparences si modestes. Mais restant sur le terrain logique, on ne peut s’empêcher de dire avec Bradley que l’identité AB = AB est certainement vraie, mais qu’elle ne constitue pas un jugement, car il n’y a pas jugement sans une différence entre le sujet et le prédicat.

Il y a cependant de la vérité mêlée à toutes ces erreurs, et en particulier il faut reconnaître que tout jugement enveloppe une complexité plus ou moins grande et que le prédicat, pour ne pas être toujours universel, ne laisse pas de l’être parfois. Il faut avouer aussi que l’objet du jugement, en dépit de la différence des termes, est d’affirmer l’identité du sujet avec l’extension du prédicat. Quel est en effet le sujet dans un jugement ? — Nous touchons ici à la théorie la plus originale de l’auteur. — Le sujet n’est point le sujet grammatical, mais la réalité même. Dans la proposition S est P, cette proposition tout entière n’est