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E. NAVILLE. — la doctrine de l’évolution

Supposons, contrairement à l’opinion de la plupart des savants de premier ordre, que le passage de la matière inorganique à la vie ait été valablement franchi. La vie, dans la variété de ses manifestations, est-elle scientifiquement réductible à l’unité ? C’est demander si, la vie ayant paru sous sa forme la plus élémentaire dans des organismes semblables, on peut expliquer par la seule action des agents extérieurs la formation de toutes les espèces végétales et animales ? C’est la thèse des transformistes absolus ; mais cette thèse est contestée par des naturalistes que personne ne saurait mépriser sans se rendre coupable d’une présomption impertinente. Dans le sein même de l’école transformiste, les naturalistes prudents reconnaissent que « la science nous laisse en présence de souches originelles parfaitement distinctes[1], que l’état actuel de la science ne laisse point percer le mystère qui entoure le développement primitif des grandes classes du monde animal[2]. » Moins encore la science actuelle est-elle capable de percer le mystère de la division du règne animal et du règne végétal. L’unité et la continuité du développement des phénomènes biologiques est une anticipation de la pensée, légitime à titre de supposition spéculative, mais qui n’a pas les caractères d’une induction vraiment expérimentale.

Admettons maintenant sans l’accorder, mais comme procédé de discussion, que la thèse du transformisme soit solidement établie, et ait passé de l’état de simple conjecture à l’état d’hypothèse vérifiée. Admettons que la formation progressive de toutes les faunes et de toutes les flores, à partir d’une forme primitive de la vie, soit démontrée scientifiquement ; reste la question du passage des mouvements organiques, qui font l’objet de la physiologie, aux phénomènes psychiques dont l’homme a directement la conscience, et qu’il attribue ensuite dans une certaine mesure aux animaux par le résultat d’une induction naturelle. La science peut-elle ramener à l’unité l’ordre physiologique et l’ordre psychique ? Peut-on arriver à concevoir les phénomènes de la pensée, du sentiment et de la volonté comme étant des propriétés ou des manifestations de la matière dans les conditions spéciales de l’organisme encéphalique ? Il s’offre à cet égard des difficultés qui donnent lieu parfois à des protestations assez vives formulées par des naturalistes qui sont considérés comme des maîtres.

M. Dubois-Reymond, par exemple, s’adressant au congrès scien-

  1. Lettre du prof. Vogt à M. de Quatrefages, communiquée à l’Académie des sciences à Paris.
  2. Albert Gaudry, Les enchainements du monde animal — Fossiles primaires, p. 292.