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E. NAVILLE. — la doctrine de l’évolution

divers d’un même processus psychologique évolutif[1], » il faut placer à la fin de l’exposition de cette thèse un très gros point d’interrogation.

Admettons encore le passage des phénomènes physiologiques aux phénomènes psychiques, bien que, pour l’admettre, même à titre provisoire, nombre d’esprits soient obligés de se faire une étrange violence ; de nouvelles difficultés vont se présenter ; de nouvelles questions vont surgir : Peut-on réduire à l’unité, toujours au point de vue de la science expérimentale, les différents phénomènes psychiques ? Lorsqu’on veut tenter cette réduction, il faut partir de la sensation comme du fait psychique élémentaire dont on fait une simple manifestation de l’organisme ou l’aspect subjectif des phénomènes physiologiques. Je reproduis ces expressions, bien qu’elles n’aient pour moi aucun sens appréciable[2]. La sensation étant donnée, il faut ériger en axiome la thèse de Condillac que tous les phénomènes intellectuels et moraux ne sont que des sensations transformées ; mais l’application de cette thèse est hérissée de difficultés ; je me bornerai à en indiquer quelques-unes.

Comment rendre compte du fait de la personnalité ? Attribuer la personnalité à l’organisme matériel, et n’y voir que la coordination des fonctions physiologiques serait un abus de langage manifeste. La coordination des fonctions organiques constitue une individualité constatée objectivement par les naturalistes, tandis que la personnalité est le résultat du phénomène subjectif de la conscience. On veut faire de la personnalité, de la conscience qui est sa condition, du moi qui est son expression, une somme de sensations ; mais une sensation unique suppose la conscience, et ne peut être réalisée que dans une personne. Comment donc attribuer à une somme l’élément constitutif principal de chacune de ses parties ? La question se pose donc : La personnalité, qui est le caractère de l’esprit, n’est-elle pas, pour une observation impartiale, dégagée de tout a priori systématique, un élément spécial irréductible à ses antécédents physiologiques ?

Pour ramener les phénomènes psychiques à l’unité, non pas dans la conscience qui en fait l’unité indéniable, mais dans leur contenu, il faut trouver l’origine de la raison dans l’expérience. Les défenseurs de cette thèse montrent fort bien que la connaissance du contenu de la raison est progressif ; mais ne confondent-ils pas la connaissance

  1. Discours du professeur Hæckel dans la Revue scientifique du 8 décembre 1877, p. 532.
  2. Voir la Revue philosophique de janvier 1881, p. 55 à 57.