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Il n’existe pas dans la langue d’autre terme que celui de bonté pour désigner un principe dont le bonheur de l’humanité doit être le résultat et la manifestation. Il est vrai que lorsqu’on veut passer de l’idée du progrès du monde à celle de la bonté de son principe, le problème du mal se présente et semble faire obstacle à la conclusion. Mais les partisans de l’évolution, sous l’influence de leur théorie, seront facilement portés à admettre la doctrine célèbre (très fausse à mon avis) qui ne voit dans le mal qu’une privation, une limitation, la part du non être dans toutes les existences relatives, en sorte que le bien seul sera pour eux la manifestation du principe de la réalité.

Conclusion : En prenant les données de l’évolution telles qu’elles sont exposées par les partisans de cette doctrine, si l’on fait intervenir les tendances de la raison, qui cherche une cause au-dessus des phénomènes, l’inconnaissable se transforme, par une évolution intellectuelle légitime, en une puissance infinie, éternelle, intelligente et bonne. Voilà un système relatif au principe de l’univers, une philosophie. Dans cette philosophie, il est facile de reconnaître les bases essentielles du spiritualisme. Comment donc se fait-il que, en partant de l’évolution à titre d’expression des faits, on en tire un système tout contraire, et qu’on oppose l’idée de l’évolution à toutes les croyances dont le spiritualisme est la base philosophique et spécialement à la doctrine de la création ? Le voici :

Tout système de philosophie est un monisme, ce néologisme avantageux désignant la recherche d’un principe unique de l’univers. Inversement, car la proposition est convertible, tout monisme est un système de philosophie. Il n’y a pas de raison valable pour laisser une école spéciale user seule d’un terme qui exprime l’essence même des recherches de la pensée spéculative. La question capitale est celle-ci : Le monde est-il le résultat d’un développement nécessaire. Ses éléments ne sont-ils distincts qu’en apparence et doivent-ils être ramenés par la science à une unité substantielle ? Ou bien, le principe premier est-il une cause libre et créatrice, d’où résulte que l’univers peut renfermer des éléments irréductibles dont l’unité ne se trouve que dans la cause qui les a produits ? Si la seconde de ces conceptions est la vraie, lorsqu’on ne s’élève pas à la considération de la cause suprême et que l’on étudie seulement ses effets, l’unité des éléments du monde constatés par l’expérience est une harmonie et non pas une identité. L’évolution ne cesse d’être une doctrine relative à l’expression des faits pour devenir un système philosophique que par l’affirmation de la nécessité.

M. Herbert Spencer nie positivement la réalité du libre arbitre ; il