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Un jugement naturel de hiérarchie nous fait affirmer que l’être vivant est supérieur à la matière brute, que les organismes sont plus ou moins élevés dans l’échelle de la vie, et que la pensée est plus que la vie inconsciente. Voltaire pourra bien écrire en note au bas d’une pensée de Pascal : « En quoi quelques idées reçues dans un cerveau sont-elles préférables à l’univers matériel ? » Mais c’est là une simple boutade produite par un besoin de polémique ; il serait facile de montrer que cette pensée n’avait rien de sérieux dans l’esprit de l’écrivain. Nous affirmons naturellement enfin que nous considérons un être supposé libre comme supérieur à une chose soumise à la loi du déterminisme. L’une des preuves de cette affirmation est que les déterministes considèrent volontiers l’idée du libre arbitre comme une illusion de l’orgueil humain. Or l’orgueil consiste à s’attribuer des qualités supérieures à celles que l’on possède. Le jugement de hiérarchie est à la base de l’affirmation du progrès, puisque le progrès consiste en un passage de l’inférieur au supérieur, du moins au plus. Les évolutionnistes admettent l’idée du progrès ; ils admettent donc la valeur du jugement de hiérarchie qui en est la base nécessaire. D’où vient ce plus dans les éléments supérieurs du monde ? Serait-il sans raison d’être ? Admettre l’existence d’une chose sans raison d’être, c’est faire du néant un pouvoir producteur, c’est attribuer à ce qui n’est pas la plus haute manifestation de l’être ; c’est la contradiction proprement dite. Le matérialisme trouve la raison d’être du mouvement par lequel le monde tend du moins au plus dans la considération de la diversité des agrégats qui produisent une complication croissante des phénomènes et des organisations de plus en plus développées ; mais cela ne fait que reculer la question sans la résoudre. Le progrès résulte de la diversité des agrégats ; mais quelle est la raison d’être de cette diversité ? Elle n’est ni dans la matière, ni dans son mouvement, puisque, comme nous l’avons déjà vu, la pure considération de la matière et du mouvement ne produit rien. La raison d’être du passage de l’inférieur au supérieur, du moins au plus, se trouve donc dans les lois du mouvement : C’est donc la loi qui est la cause du progrès. Mais l’action d’une loi est absolument inintelligible ; une loi exprime le mode d’une action accomplie, et jamais son principe. Il faut donc s’arrêter à l’idée d’une force inconsciente agissant selon des lois, c’est-à-dire d’une force réalisant des types et des idées qu’elle ignore. Nous voilà hors du matérialisme et en présence d’un autre système, c’est-à-dire en présence de l’idéalisme sous la forme biologique qui seule le rend intelligible.

Mon intention n’est pas d’étudier d’une manière générale la doc-