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E. NAVILLE. — la doctrine de l’évolution

trine de l’évolution, de rechercher dans quelles limites elle s’applique légitimement aux sciences particulières et peut être considérée comme le résultat d’observations exactes et d’inductions solides. Je n’ai abordé les questions de cet ordre que dans la mesure nécessaire pour arriver à la conclusion que voici : L’évolution, considérée comme un système de philosophie, n’est pas le résultat naturel des sciences expérimentales ; c’est une conception a priori qui s’impose à ces sciences dans l’esprit d’un certain nombre de savants. En admettant les bases expérimentales de la doctrine telles que ses partisans les présentent, si l’on voulait construire un système, on arriverait par une voie assez directe aux thèses du spiritualisme. La doctrine de l’évolution s’oppose à ces thèses, parce qu’elle affirme la nécessité du développement de l’univers ; mais sur quel fondement repose cette affirmation ? Au premier aspect, sur la base du matérialisme, et, pour un examen plus sérieux, sur celle de l’idéalisme. L’évolution, considérée comme une solution du principe universel, n’est donc pas un système spécial de philosophie ; c’est une conception indécise entre les deux théories du matérialisme et de l’idéalisme.

La lutte de l’idéalisme et du matérialisme n’a, du reste, qu’un intérêt secondaire quant aux questions relatives à l’humanité et à ses destinées. Sous ce rapport, la question capitale est le choix entre un système qui fait une place à la liberté, ce qui est le caractère spécifique du spiritualisme seul, et les systèmes qui aboutissent, quel que soit leur point de départ, à l’affirmation du déterminisme universel. C’est là qu’est maintenant, et d’une manière toujours plus claire, ce qu’on peut appeler, pour user d’un terme de géographie, la ligne de séparation des eaux. L’histoire de la parole fournit, à cet égard, une indication intéressante. Le mot déterminisme, étranger jusqu’à ces derniers temps au vocabulaire officiel de la langue française, a été introduit dans la dernière édition du Dictionnaire de l’Académie en 1877. Ce fait signale l’importance croissante de l’idée que ce mot désigne, sinon dans les écoles de philosophie, où cette importance a toujours été considérable, du moins dans les préoccupations du public lettré en général.

Le Dictionnaire de l’Académie définit ainsi le terme auquel le baptême officiel vient d’être accordé : « Déterminisme, système de « philosophie qui admet l’influence irrésistible de motifs. » Que les motifs soient conçus comme des impulsions mécaniques, ce qui est la conception imposée au matérialisme, ou qu’ils soient conçus comme des influences de l’ordre logique, la liberté est niée dans un cas comme dans l’autre. On peut concilier le déterminisme et la