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liberté en donnant au mot liberté le sens de la spontanéité des actions d’un être qui réalise sans obstacles extérieurs la loi de sa nature. Le mot liberté a, dans ce cas, un sens tout à fait général, applicable aux choses comme aux personnes. Mais, si on passe de cette idée générale de la liberté à la notion du libre arbitre, c’est-à-dire d’une puissance de choix, on tombe dans l’équivoque. Entre l’affirmation du déterminisme et celle du libre arbitre, la contradiction est absolue ; il faut admettre l’une de ces thèses en excluant l’autre, à moins que l’on ne se résigne à soutenir, avec Hegel, la valeur égale des propositions contradictoires, et à renverser ainsi, au nom de la philosophie, les bases fondamentales de la raison.

La question de la liberté, entendue dans le sens plein du terme où il concerne à la fois l’homme et le principe de l’univers, domine aujourd’hui plus que jamais les discussions de la pensée spéculative. Selon la réponse faite à cette question, on arrive à deux conceptions opposées de la science universelle : Ou bien la science est conçue comme pouvant reproduire l’enchaînement des faits par l’enchaînement nécessaire des idées, ce qui laisse espérer que l’esprit humain pourra parvenir, par une intuition rationnelle, à la possession d’un principe premier, à partir duquel la déduction a priori construirait tout le savoir. Ou bien les déductions logiques qui seules rendent les choses intelligibles ont pour point de départ des faits qui, selon l’étymologie du mot fait, sont des actes. Dans ce dernier cas, c’est l’histoire, au sens le plus général de ce terme, et non pas la logique, qui est la science première ; d’où résulte que c’est l’observation, et non pas une intuition rationnelle a priori, qui peut être la base première du savoir.

Les deux réponses opposées faites à la question de la liberté, en produisant deux conceptions différentes de la science universelle, produisent, par là même, deux conceptions également différentes de la vie humaine. Ou bien l’homme est, soit l’un des rouages du mécanisme universel (c’est le point de vue du matérialisme), soit l’un des moments du développement nécessaire de l’idée (c’est le point de vue de l’idéalisme) ; ou bien l’homme est, dans une certaine mesure, l’un des agents de sa propre destinée. Il possède un pouvoir de détermination de l’usage duquel il est responsable ; c’est la conception propre au spiritualisme. Insister sur l’importance de la question envisagée ainsi dans ses conséquences, serait tout à fait superflu.

Ernest Naville.