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le bon sens des femmes appelées à donner le ton ; le sang des races futures serait plus vermeil et leur activité plus féconde — tandis qu’aujourd’hui les premiers ouvriers appelés à faire l’avenir sont le jeune homme libéré du service militaire en raison de ses infirmités et la fille qui apporte sa fortune dans son tablier, celle dont les parents sont morts tous les deux jeunes, celle dont, suivant toute apparence, le sang est le plus vicié. Tels sont les effets combinés du matérialisme de nos mœurs et d’une législation exclusivement préoccupée des droits et des intérêts individuels. Dans son effort même pour être juste envers chacun, elle nuit peut-être à tout le monde.

Ainsi le droit abstrait, qui s’attache exclusivement à la considération des individus, ne suffit pas à tout régler pour le mieux dans le domaine qui nous occupe. Mais c’est uniquement l’idée du droit que nous cherchons à dégager. Nous pouvons donc laisser ouvertes les dernières questions effleurées. Elles se rattachent au problème social de l’héritage et à la compétence de l’état pour le résoudre dans son propre intérêt ; ce sujet nouveau n’est pas de ceux qu’il est loisible de traiter incidemment. Le seul palliatif à la lèpre des mariages dits de raison que nous offre une application plus sévère de l’idée juridique pure, consisterait à décourager la chasse à la dot en accordant à l’épouse non seulement la garantie, mais l’administration et la libre jouissance des biens qu’elle apporte, déduction faite d’une part débattue aux frais du ménage commun.

Le mariage, même élargi, ne saurait être l’unique type des relations sexuelles. Partout où la famille se ferme, la courtisane s’assied à sa porte. Mal ou bien, sa présence est inévitable dans une société dont les conditions économiques interdisent le mariage au grand nombre durant les années où le besoin s’en fait sentir avec le plus de force, et n’accordent pas généralement au travail des femmes une rétribution suffisante à leur entretien. Que dit le droit ?

Le fait d’accorder l’usage de son corps à plusieurs et d’y mettre un prix ne saurait constituer un délit par lui-même, puisqu’il ne fait tort à personne. Le métier ne relève donc pas directement de la justice ; à plus forte raison ne saurait-il priver celle ou celui qui l’exerce de la protection des lois.

Cependant, pour faible qu’elle puisse être, la chance de fécondation rend punissable, nous l’avons dit, celle qui s’expose à mettre au monde un enfant sans père, ou pour mieux dire, elle la rendrait punissable si la loi se prêtait à la constatation de la paternité. Punissable de même est celui qui, se sachant malade ou pouvant s’en douter, communiquerait son mal à d’autres par un acte volontaire. Et cette règle s’applique également aux deux sexes ; il n’existe aucune raison