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CH. SECRÉTAN. — la femme et le droit

pas sans valeur, ils ne supportent pas le poids des conclusions qu’on en tire, et l’histoire montre que les raisons invoquées après coup pour justifier la loi ne sont pas celles qui l’ont dictée ; mais après les corrections dont nous avons marqué la substance, le mariage ne pécherait plus contre le droit.

La question des biens est très complexe. Que la femme ait droit au produit de son labeur, même sous le toit conjugal, cela nous paraît certain, bien que le code en juge autrement Quant à l’héritage, la loi qui fait abstraction des sexes dans sa dévolution fonctionne mal, parce que son apparente équité jure avec les différences qu’elle établit entr’eux dans le mariage. La filiation féminine étant seule constante, la logique demanderait peut-être que la transmission des biens s’opérât exclusivement par les femmes, qui, de plein droit, hériteraient seules, ou du moins en l’absence de testament. Et l’intérêt social semblerait d’abord parler en faveur de cette règle, puisque la production des biens est naturellement l’office du sexe fort, tandis que leur administration et leur conservation convient particulièrement aux talents du faible. Rien n’est plus nuisible aux mœurs, à l’égalité politique et au développement de la richesse que la permanence d’une classe d’oisifs garantis dans leur oisiveté. Les familles qui ne pourraient laisser à leurs garçons qu’un modique fonds de roulement ne lésineraient plus sur leur éducation, et ne craindraient plus autant d’en voir augmenter le nombre. L’énergie, l’initiative, l’intelligence nationales y gagneraient.

Cependant des considérations puissantes militent en faveur d’une solution diamétralement opposée. La liberté, la dignité de la femme, le progrès désirable des générations à venir seraient intéressés à ce que les filles ne fussent point dotées et n’héritassent qu’un viager exigible seulement durant leur célibat. Alors les demoiselles de bonne maison ne subiraient plus les hommages ignominieux des coureurs de dot. Alors les jeunes gens ne pouvant plus compter sur une alliance pour solder leurs folies et les établir dans la société, travailleraient plus vaillamment pour acquérir une position, puis, lorsqu’ils l’auraient obtenue, ils consulteraient leurs yeux, leur raison, leurs sentiments et non leur notaire dans le choix de la mère à donner à leurs enfants. Les mariages d’amour, les seuls dont puisse naître une génération puissante, cesseraient d’être une imperceptible et problématique exception. Les plus belles, les mieux douées, les plus vaillantes seraient les premières appelées aux soins de la maternité ; les biens conquis par l’énergie virile seraient conservés par leur sollicitude, le luxe puéril des colifichets où s’absorbe stérilement une si grande partie de travail de l’humanité serait réprimé par