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E. GLEY. — les sens musculaire

proprement dite joue un rôle très peu important dans la conscience des mouvements exécutés par nos membres et que les modifications qui surviennent dans les articulations, dans la peau (plissements, etc.), suffisent à nous indiquer la position d’une partie du corps.

M. A. M. Bloch a varié cette expérience en imaginant de prendre, entre le pouce et l’index de chaque main, un nombre égal de pages d’un livre quelconque. Or, les erreurs commises ne deviennent pas plus nombreuses lorsque les doigts d’une main sont tirés en sens inverse par deux bandes de caoutchouc. — Ici encore le rôle de la sensation musculaire proprement dite est si faible que l’existence d’un sens spécial, chargé de nous donner les notions de situation, de déplacement, etc., des différentes parties de notre corps, devient tout à fait improbable, c’est du moins la conclusion qui me paraît rigoureusement sortir de ces recherches.

Après avoir ainsi étudié la part des mouvements musculaires dans les mouvements actifs, M. Bloch a fait quelques expériences sur les sensations qui résultent de la résistance à des charges variables ; et dans ce cas encore la sensation musculaire ne paraît jouer qu’un rôle restreint.

Les expériences de M. A. M. Bloch sont directement confirmées par des recherches d’un tout autre genre, dues à M. le Dr P. Magnin, et qui ont été faites sur plusieurs hystéro-épileptiques du service de M. Dumontpallier, à l’hôpital de la Pitié[1].

Soit une malade hémianesthésique gauche, sensible du côté droit. On lui bande les yeux et on constate qu’elle possède la notion très nette de la position de son membre supérieur droit et, par exemple, qu’elle peut avec ce membre exécuter sans hésitation tel ou tel mouvement. Or, que se passe-t-il à gauche ? Si l’on place la main gauche de la malade derrière son dos, cette malade n’a nullement la notion de la position qu’on a donnée à sa main ; elle est incapable d’exécuter un mouvement précis avec ce membre : c’est ainsi qu’elle ne parvient pas à se toucher l’oreille gauche avec ses doigts, quand on lui dit de faire ce mouvement, mais sa main se porte sur un autre point du visage.

La conclusion de ces intéressantes observations n’apparaît-elle pas évidente ? Les expériences de M. A. M. Bloch montrent que les notions, rapportées par plusieurs psychologues au sens musculaire, sont dues à peu près complètement à des sensations cutanées, à des modifications dans les articulations, etc. Les expériences de M. P. Magnin sont la contre-épreuve de celle de M. A. M. Bloch, puis-

  1. Compes rendus de la Société de biologie, séance du 1er mars 1884.