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mais qui pourtant n’y tiennent pas essentiellement (excitation des nerfs sensibles par suite des mouvements articulaires et des déplacements des tissus tégumentaires se produisant au moment de la contraction), donnent lieu presque à elles seules à toutes les notions de sensibilité musculaire. D’autres expériences font voir que, ces sensations afférentes étant abolies pour une cause ou pour une autre, la sensibilité musculaire disparaît.

Les résultats de ces diverses recherches sont d’ailleurs d’autant plus intéressants, ce me semble, qu’ils sont dus à deux expérimentateurs qui ont travaillé indépendamment l’un de l’autre et qui manifestement n’ont pas pensé faire œuvre de psychologues. Dans aucun de leurs mémoires, par exemple, il n’est question du sens musculaire, au point de vue psychologique. Il n’en est pas moins arrivé qu’en faisant de la bonne physiologie, ils ont fourni des documents psychologiques de valeur ; et il s’est trouvé d’une manière très heureuse, mais très naturelle, que les expériences de l’un sont vraiment la contre-épreuve des recherches de l’autre.

M. le Dr A. M. Bloch[1] remarque que, lorsqu’il y a contraction musculaire, nous sommes très mal renseignés par nos sensations sur les muscles que nous faisons agir. Si, par exemple, on fléchit les doigts, les sensations qu’on éprouve sont localisées à la paume de la main et non à l’avant-bras ; lorsque nous étendons la jambe sur la cuisse, nous ne nous rendons pas compte de la contraction auxiliaire des gastro-cnémiens. — Ceci étant observé, et pour vérifier le fait, M. A. M. Bloch a institué d’ingénieuses expériences. Il se place devant un paravent à deux feuilles, plié à 90 degrés environ et cou-vert de papier divisé en carrés de 5 centimètres de côté. Il cherche alors à poser les deux mains symétriquement sur les papiers quadrillés et il marque au fusain les points qui lui semblent correspondants. En reportant tous ces points sur une feuille quadrillée aux deux cinquièmes de la réalité, il observe des écarts variés, qui sont de 1 à 2 centimètres dans les régions voisines du corps et situées à la hauteur du visage et de la poitrine ; les erreurs sont de 5 à 7 centimètres dans les zones éloignées du corps qui, par conséquent, ne peuvent être atteintes que par une extension plus ou moins grande des membres supérieurs. Or, s’il recommence l’expérience en se faisant soutenir le bras par un aide, tandis que lui-même et simultanément place son autre bras dans une position qui lui paraît symétrique avec celle du membre passif, les tracés obtenus sont semblables aux premiers. — De là il conclut que la sensation musculaire

  1. Comptes rendus de la Société de biologie, séance du 19 janvier 1884