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de critique, une méthode de réfutation plus qu’une méthode de preuve.

Mais, en vertu de ce que nous avons dit plus haut, que la contradictoire d’une proposition fausse est toujours vraie, la découverte du faux peut devenir la preuve du vrai. « Il résulte de cette remarque une méthode indirecte pour démontrer la vérité d’une proposition, et qui consiste à en considérer la contradictoire et à en démontrer la fausseté… On fera voir que, cette proposition étant admise, conduit, par des raisonnements justes, à des conclusions, soit absurdes en elles-mêmes, soit contradictoires avec l’hypothèse ou avec une de ses conséquences. Ce procédé détourné, mais souvent utile, se nomme réduction à l’absurde. Il a été beaucoup employé par les anciens géomètres (Duhamel, ouv. cit., ch.  II). »

Ainsi, soit à démontrer une proposition : Tout A est B ; si nous ne pouvons directement prouver sa vérité, nous prendrons sa contradictoire : Quelque A n’est pas B, et nous montrerons, ou que cette dernière proposition est absurde, ou que ses conséquences nous amèneraient à rejeter une vérité précédemment démontrée. Voici un exemple : Soit à démontrer cette proposition : Deux droites perpendiculaires sur une même droite sont parallèles, c’est-à-dire ne doivent jamais se rencontrer si loin qu’on les prolonge, nous raisonnerons ainsi : si deux droites perpendiculaires sur une même droite n’étaient pas parallèles, elles se rencontreraient en un point et de ce point on pourrait abaisser deux perpendiculaires sur une même droite, ce qui est contraire à une proposition déjà démontrée. Si on n’admettait pas que deux perpendiculaires sur une même droite sont parallèles, on serait réduit à cette absurdité d’affirmer à la fois que, d’un point donné on ne peut abaisser qu’une seule perpendiculaire et qu’on peut en abaisser deux. Il faut, par conséquent, sortir de cette absurdité : une des deux propositions est démontrée vraie, l’autre est donc fausse et l’hypothèse d’où on l’a déduite l’est aussi, la contradictoire de cette hypothèse est donc vraie, et c’est justement ce qu’on voulait démontrer.

Pour être valable, ce mode de raisonnement doit satisfaire à deux conditions. Il faut : 1o que la proposition dernière que la contradictoire de l’hypothèse amène à contredire soit accordée ; 2o que les articulations du raisonnement soient des contradictoires et non simplement des propositions contraires. C’est la négligence de cette seconde condition qui produit les très nombreux sophismes auxquels donne lieu cette forme de raisonnement. Pour n’en citer qu’un exemple emprunté à la politique, amener un auditoire à reconnaître que la monarchie est mauvaise ne suffit pas pour prouver que la démocratie est bonne, car la démocratie est contraire, non contradictoire de la monarchie ; un gouvernement peut n’être ni monarchique ni démocratique. Prouver de même les vices de l’aristocratie, ce n’est nullement établir l’excellence de la monarchie, car on peut n’être gouverné ni par une aristocratie, ni par une monarchie.