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FONSEGRIVE. — du raisonnement par l’absurde

Nous venons de voir que ce qui est absurde, nous le jugeons faux ; nous sommes par là même amenés à regarder comme vrai le contradictoire du faux, car le vrai est le non-faux. Par conséquent entre deux notions qui se contredisent il n’y a pas de milieu ; si l’une est fausse, l’autre est vraie, et réciproquement, si l’une est vraie, l’autre est fausse, et ce serait commettre une absurdité que de les affirmer à la fois l’une et l’autre. De même pour deux propositions contradictoires, il serait absurde de les admettre en même temps comme vraies. Mais il faut pour cela que les notions ou les propositions soient bien réellement contradictoires, pour qu’il ne puisse y avoir aucune autre alternative possible. Il est donc assez important de savoir quand deux notions ou deux propositions sont véritablement contradictoires et non simplement contraires. Sans entrer dans les détails et renvoyant pour cela aux logiciens (Aristote, Categor., ch.  viii ; De interpretat., ch.  vii ; Hamilton, Lectures on Logic, Lect. xii, I, p. 214 ; xiiie siècle, ib., p. 261), nous dirons que deux notions sont contradictoires l’une de l’autre quand l’une est la négation de l’autre. Ainsi : non-blanc est contradictoire de blanc ; noir est simplement contraire de blanc, car une chose ne peut pas être à la fois noire et blanche, mais elle peut n’être ni noire ni blanche, tandis qu’il faut, de toute nécessité et sans autre alternative possible, qu’une chose soit blanche ou qu’elle ne le soit pas. Deux propositions sont contradictoires l’une de l’autre quand, ayant même sujet et même attribut, elles diffèrent à la fois en quantité et en qualité. Ainsi, l’universelle affirmative et la particulière négative sont contradictoires, la particulière affirmative et l’universelle négative le sont aussi. De ce que : tout homme est mortel est vrai, il s’ensuit évidemment que : Quelque homme n’est pas mortel est faux, et vice versa, tandis que la proposition : Tout homme est juste peut être fausse sans que pour cela celle-ci : Nul homme n’est juste soit vraie. C’est que ces deux dernières propositions sont contraires et non contradictoires. — Quand le sujet est déterminé, singulier, il suffit que les propositions diffèrent en qualité : Ex : Socrate est blanc ; Socrate n’est pas blanc.

Cela étant posé, il est évident qu’on ne peut, sans absurdité, affirmer une contradictoire sans nier l’autre, et vice versa ; c’est ce qui a amené à chercher dans ces propriétés des contradictoires une méthode de réfutation et une méthode de preuve. Ce sont ces deux méthodes qu’on appelle indifféremment dans les sciences : réduction à l’absurde et raisonnement par l’absurde.

Une proposition étant avancée, on peut montrer sa fausseté en prouvant qu’elle amène à contredire une autre proposition déjà reconnue ; or, l’adversaire qui convient avec vous de cette dernière proposition est réduit à cette absurdité de la nier en soutenant la proposition en question et de l’affirmer par ses concessions préalables. On voit que la condition essentielle de cette réduction à l’absurde est l’accord antérieur avec l’adversaire sur une proposition à la négation de laquelle doit aboutir l’admission de la thèse proposée. C’est là une méthode