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NOTES ET DISCUSSIONS


SUR LA REPRÉSENTATION DES MÉLODIES

Dans le dernier chapitre de ses « Études sur le langage et la musique » (Paris, 1885), M. Stricker maintient, relativement au § 9 du 1er volume de ma Tonpsychologie, « non seulement qu’il est impossible de se rappeler les sons » autrement que par l’intermédiaire de sensations musculaires ; mais il soutient encore qu’il est possible de se représenter des mélodies exclusivement sous forme de sensations musculaires, sans aucune intervention de sons. Il appuie cette assertion sur ses propres observations ainsi que sur celles de Henle et sur les miennes. Je demanderai donc la permission de faire une courte rectification.

Dans une lettre citée dans la « Tonpsychologie », Henle disait être d’accord avec moi sur ce que l’on peut se représenter des sons sans l’aide d’aucune sensation musculaire. Il avait uniquement recours au chant intérieur, quand il voulait bien se rendre compte du mode d’un morceau, mais jamais dans aucun autre cas, soit pour les mélodies reproduites intentionnellement, soit pour celles qui bourdonnent spontanément a notre oreille. Les mélodies récemment entendues lui revenaient à la mémoire avec leur timbre même. Mais, en général, elles lui revenaient « d’une façon abstraite qui ne rappelle aucun timbre réel ».

D’après M. Stricker, Henle, en se servant de l’expression abstraite, a voulu dire qu’il restait dans sa conscience quelque chose qui ne consistait pas en représentations de sons. Or, dit M. Stricker, qu’est ce quelque chose, sinon des sensations musculaires ? Si Henle ne les trouvait pas en lui, s’il allait même jusqu’à nier leur présence, c’était, d’après M. Stricker, parce qu’il n’avait pas l’habitude des observations psychologiques.

On ne peut plus aujourd’hui demander au célèbre anatomiste ce qu’il entendait exactement par cette expression : abstraite. Mais il avait pris ses précautions. N’ajoute-t-il pas immédiatement « qui ne rappelle aucun timbre réel ». Il soutient donc, non pas qu’il y a absence de représentations de son, mais qu’il manque un timbre, et seulement un timbre qui rappelle un timbre réel. On ne peut pas s’exprimer d’une manière plus exacte. Mais le traducteur du livre de M. Stricker a rendu le mot « Klangfarbe » par « nuance des sons », et a ainsi prêté la main à l’interprétation de M. Stricker. Autant que je sache, «  Klangfarbe » doit se traduire en français par « timbre ».

M. Stricker appuie également son interprétation sur une déduction psychologique. En général, dit-il, il n’y a pas de sons abstraits ; peut-on