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peut que se mouvoir dans le cercle de la conscience en relation avec elles. Son processus est donc un processus continu, avec un commencement et une fin déterminés par la nature de la conscience elle-même. C’est une méthode, et non une succession purement fortuite d’essais, qu’il faut pour rendre le monde scientifiquement intelligible, et, dans cette méthode, il y a, pour l’application de chaque catégorie, un temps et une place qui ne peuvent être changés sans confusion. Or, où trouver cet ordre si ce n’est dans la succession des catégories sur lesquelles est fondée toute méthode logique ? »

M. Caird consacre à l’étude de la Logique hégélienne un important chapitre où il nous est impossible ici de le suivre plus longtemps. Nous en avons assez dit pour faire apprécier, croyons-nous, cette étude sur un grand système peut-être un peu trop négligé aujourd’hui. Elle est précédée par un récit très détaillé de la vie de Hégel, et suivie de considérations sur la destinée de cette philosophie. On sait quelle fut d’abord sa fortune, quelle influence, avant la mort du maître, elle avait acquise dans toutes les écoles d’Allemagne. Les critiques qu’elle avait jusqu’alors soulevées étaient si superficielles, ou fondées sur des méprises si évidentes que la foi de ses disciples n’avait encore été soumise à aucune épreuve sérieuse. Plus tard, les choses changèrent de face ; les attaques furent plus redoutables, et la division se mit dans l’école. Mais comme Hégel l’avait dit lui-même : « Un parti montre vraiment pour la première fois qu’il a triomphé, quand il se divise en deux partis. » Cependant il n’y a plus d’hégéliens en Allemagne, et l’on n’en trouverait peut-être aucun nulle part, si l’on désigne par ce nom un penseur qui accepte les idées du maître comme le faisaient ses premiers disciples. Qu’importe ! La philosophie de Hégel n’est morte que pour revivre. « Ceux qui ne s’en laissent pas imposer par les mots ou les apparences, dit M. Caird, voient sans peine que, dans le développement scientifique de l’Allemagne et des autres pays, il n’y a pas de doctrine qui exerce à présent plus d’influence que l’hégélianisme, surtout dans tout ce qui se rapporte à la métaphysique et à la morale, à la philosophie de l’histoire et de la religion. C’est un caractère nécessaire de la grandeur de cette force spirituelle qu’elle ne ressemble pas à une découverte scientifique définie dont on pourrait exactement mesurer la portée. Elle est si intimement confondue maintenant avec tous les éléments de la culture actuelle, si étroitement identifiée avec le mouvement général de la pensée, qu’il nous serait impossible de dire ce qu’il faut attribuer à son action spéciale. Si nous ne pouvons estimer ce que la culture poétique des temps modernes doit à Dante ou à Shakespeare, encore moins pouvons-nous déterminer avec précision, dans le développement spéculatif auquel tous ils contribuent, la part respective des anciens philosophes, de Hégel et de ceux qui, depuis, ont tenté de détruire, de critiquer ou de compléter son œuvre. La seule question importante aujourd’hui est de savoir, non pas si nous sommes des disciples de Hégel, — mais si nous reconnaissons l’existence d’un développement philosophique