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ANALYSES.merz. Leibniz. — caird. Hegel.

excluait toute relativité, toute communauté entre les choses. Elle séparait l’objet du sujet, une chose d’une autre ; ou, si elle admettait des relations entre les choses, elle les regardait comme tout à fait extérieures, comme étrangères à la nature des choses en elles-mêmes. Mais une pareille théorie de la connaissance est renversée par l’idée d’une conscience personnelle dans laquelle l’unité véritable apparaît comme essentiellement complexe et concrète, comme une unité de différences. La conscience est une énigme insoluble pour ceux qui séparent l’identité et la différence ; car la dualité et l’unité sont en elle si étroitement associées qu’elles n’ont, prises séparément, aucun sens. Le moi n’existe pour lui-même que s’il s’oppose comme objet à lui-même comme sujet, et aussitôt concilie les deux termes de cette opposition et la dépasse. C’est seulement parce qu’elle est ainsi une unité concrète qui contient en elle une contradiction résolue que l’intelligence peut, en quelque sorte, entrer en lutte avec l’infinie diversité de l’univers et espérer d’en triompher. « L’intelligence est capable de comprendre le monde, ou, en d’autres termes, de renverser la barrière qui la sépare des choses et de se retrouver en elles, précisément parce qu’il y a implicitement en elle la solution de toutes les divisions et de tous les conflits que présentent les choses.

Pour comprendre qu’il y a ainsi dans l’intelligence, en tant que sujet-objet, un principe adéquat pour l’interprétation de la nature et de l’histoire, il faut expliquer plus complètement ce que contient l’idée d’une conscience de soi ; il faut montrer que toutes les catégories par lesquelles la science et la philosophie essayent de rendre le monde intelligible, y sont implicitement contenues : c’est la tâche de la Logique hégélienne. On croit volontiers que cette logique est une tentative de construction a priori de la nature. Sans doute, Hégel, dans ce grand ouvrage, traite des catégories qui rendent le monde intelligible sans s’occuper de leur application, Ce n’est pas qu’il ignore cette vérité, à savoir que l’intelligence prend conscience de ses formes dans ses efforts mêmes pour interpréter l’expérience. Mais il estime « que les catégories doivent être étudiées en elles-mêmes et dans leurs rapports mutuels, — plutôt que dans leurs relations avec les choses auxquelles elles s’appliquent ou dans lesquelles elles se réalisent, — pour montrer qu’il y a une loi et de l’ordre, de l’unité dans la différence, aussi bien dans l’esprit que dans l’objet à connaître. Hégel, en un mot, cherche simplement à prouver dans sa Logique, que ces différentes catégories ne sont pas une collection d’idées isolées que nous trouvons dans nos esprits et dont nous appliquons tantôt l’une tantôt l’autre, comme on essaie successivement sur un certain nombre de serrures isolées les différentes clefs d’un trousseau ; il cherche à prouver que les catégories ne sont pas des instruments dont l’esprit se sert, mais des éléments dans un tout, des degrés dans un processus complexe qui, dans son unité, est l’esprit. L’esprit, en effet, n’a pas de clef à appliquer à la nature ; il s’y applique lui-même ; en épelant le sens des choses, il ne