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ANALYSES.gumplowicz Grundriss der Sociologie.

Schaeffle et Lilienfeld. C’est une science indépendante et sui generis. Il y a trois mondes dans la nature : au-dessus des phénomènes physiques, au-dessus des phénomènes psychiques, il y a les phénomènes sociologiques. Mais quelle en est la nature ? Jusqu’ici on ne voyait dans la vie sociale qu’une résultante de toutes les vies individuelles, et on croyait avoir expliqué l’une quand on l’avait exprimée en fonction des autres. Mais cette analyse tant vantée n’avait d’autre résultat que de dissoudre l’objet même de la sociologie. Car une société est une force dont les individus dépendent, mais qui ne dépend pas d’eux. D’ailleurs les phénomènes qui se produisent dans un groupe social sont autant d’effets, dont il faut rechercher les causes dans un autre groupe. Pour expliquer une société et son histoire, il ne faut donc pas se cantonner en elle ; il ne faut pas l’observer du dedans, mais du dehors. En un mot, les phénomènes sociaux ne sont autre chose que les relations qui s’établissent entre des sociétés différentes. Celles-ci se présentent dans l’histoire sous les formes les plus diverses, depuis les hordes barbares jusqu’aux nations civilisées. Peu importe ; c’est toujours de la même manière qu’elles agissent et réagissent les unes sur les autres, et la sociologie a pour objet de déterminer les lois immuables de leurs combinaisons.

Mais ce premier problème n’épuise pas la science. Ces changements dans le volume et la structure des sociétés, en réagissant sur les individus, suscitent des phénomènes nouveaux, qui prennent naissance, il est vrai, dans les consciences individuelles, mais sous l’influence de causes éminemment sociales. Aussi bien que chacun d’eux soit étudié par une science spéciale, ils n’en relèvent pas moins tous de la sociologie qui détermine leurs rapports avec les phénomènes sociaux proprement dits. L’auteur les appelle pour cela sociologico-psychiques (die socialpsychischen Erscheinungen). Tels sont la langue, le droit, la morale, la religion et les phénomènes économiques.

Ainsi l’objet de la sociologie est double ; mais la méthode en est une. La statistique ne peut rendre ici que de médiocres services. Elle permet bien de démontrer que les sociétés sont soumises à des lois naturelles ; mais ce que sont ces lois, elle ne nous l’apprend pas. Le premier principe exposé plus haut fournit un procédé plus fécond.

En effet ce qui résulte du polygénisme, tel que l’entend l’auteur, c’est la négation du progrès. Les choses ne se modifient qu’en apparence ; au fond elles sont toujours les mêmes. Elles changent de position dans l’espace, mais ce sont toujours les mêmes éléments combinés suivant les mêmes lois. Sans doute si on étudie un groupe social pris à part, on peut aisément y observer un progrès ; on le voit croître, décroître, se dissoudre. Mais le groupe qui le remplace ne le continue pas ; il ne poursuit pas l’œuvre interrompue. Car il survient toujours quelque cataclysme, invasion ou révolution, qui la détruit au point de n’en rien laisser subsister. C’est pourquoi les nouveaux venus, sans rien conserver d’un passé qu’ils ignorent, et sans rien produire de nouveau par eux-mêmes, recommencent la même existence que leurs prédé-