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ANALYSES.enrico soulier. Eraclito Efesio.

laquelle j’ai déjà tout à l’heure exposé mes idées ; puis nous passons à la doctrine de la lutte et de l’harmonie universelles, doctrine particulièrement bien exposée par M. Soulier ; il insiste également à bon droit sur ce fait que les célèbres paradoxes d’Héraclite sur l’identité des contraires ne doivent nullement faire supposer qu’il niât le principe de contradiction.

La cosmologie de l’Éphésien paraît très vague, et le peu de fragments qui y sont relatifs sont décidément insuffisants pour permettre des conclusions précises. Sans doute, Héraclite regardait la terre comme plate, mais ce me semble une conjecture bien hasardée que de croire qu’il se la figurait, de même que Xénophane, comme indéfiniment étendue dans sa surface et dans sa profondeur (p. 177). Héraclite, en tout cas, semble bien désigner sous le nom d’Hadès un monde souterrain sur lequel il ne s’explique pas et qu’il ne concevait sans doute pas d’une façon bien claire.

Le point de cette cosmologie le mieux connu est relatif aux astres ; on sait qu’Héraclite se les représentait comme une combustion des évaporations sèches dans la partie concave de bassins creux circulant dans l’hémisphère supérieur ; conception grossière qui semble combinée avec des éléments empruntés à Thalès et à Xénophane. Mais ce qui distingue le plus, sur ces questions, Héraclite des autres physiciens ioniens, c’est que la majorité de ceux-ci aperçoivent dans le mouvement de révolution diurne la cause primordiale de l’ensemble des phénomènes cosmiques ; Héraclite a rejeté cette cause mécanique, pour lui substituer une loi de transformation physique, dont le phénomène prédominant, dans l’état actuel du cosmos, se trouve d’ailleurs être la production des évaporations de l’eau et de la terre ; les variations de cette production et de l’importance relative des deux sortes d’évaporation ont, dès lors, comme effets, la succession des jours et des nuits, ainsi que celle des saisons.

Après avoir admis, sous certaines réserves, l’opinion de Schuster qui, d’après des passages héraclitisants du traité pseudo-hippocratique de Diaeta, fait remonter à l’Éphésien la première comparaison de l’homme à un microcosme, M. Soulier expose comment il concevait l’âme humaine ; un fluide entretenu par les évaporations au moyen de la respiration et des sens (où des pores sont supposés), d’autant plus intelligent que sa nature est plus voisine de celle du feu, d’autant moins rationnel qu’il contient plus d’éléments humides. Le feu répandu dans l’univers a donc un caractère d’intelligence qui se communique à nos âmes, en tant que celles-ci peuvent être matériellement conçues comme feu ; c’est ainsi, comme que je l’ai indiqué plus haut, que nous possédons le λόγος ξυνός.

Mais quand la question se pose de savoir si ce λόγος, qui nous apparaît objectivement comme l’ordre universel de la nature, doit être en même temps reconnu comme une conscience subjective présidant à l’accomplissement de cet ordre, M. Soulier répond négativement avec