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(ceci à l’encontre de Kant, Hegel et Renouvier), les apparences sont toujours réelles, comme apparences, c’est-à-dire subjectivement. Les illusions même, les hallucinations (en dépit des savants arguments de M. Taine) sont des actes réels ou des formes réelles de l’imagination. L’erreur, dans ces derniers phénomènes de perversion sensorielle ou judiciaire, est en ce que l’esprit croit réellement existants à un moment donné des objets qui l’ont été et qui ne le sont plus.

Suivons le développement de la pensée selon sa loi naturelle. Toutes les formes, tous les actes de la pensée dérivent progressivement de la première affirmation perceptive. Après la simple représention et affirmation de l’être réel, vient l’affirmation de ses caractères essentiels et de ses caractères accidentels, qui se résout en concepts logiques. L’idée générique naît ensuite de l’affirmation de caractères considérés comme présents dans plusieurs concepts spécifiques. Ainsi de suite, jusqu’aux idées les plus générales de force, de cause, de substance, d’être universel, dans lesquelles se résolvent les affirmations de caractères communs à un nombre de plus en plus grand d’objets. Les principes supérieurs du raisonnement, tels que les principes d’identité, de contradition, du tiers exclu, se résolvent logiquement en une triple expression de rapports formés par la pensée réfléchie, par voie d’abstraction et de généralisation, sur l’acte réel et particulier d’affirmation de l’être réel. Ces trois principes expriment, au fond, sous trois aspects, l’impossibilité qu’éprouve la pensée d’unifier en un même acte l’affirmation et la négation.

M. Caroli explique au même point de vue de la méthode naturelle les principes rationnels de substantialité, de causalité et de finalité. L’explication en est fort simple. L’existence en elle-même de l’être qui pense, et celle des êtres qu’il pense, sont naturellement affirmées par la pensée. C’est là l’idée de substance qu’on a défigurée en la confondant avec celle d’intime essence ou nature des choses. Penser et affirmer un accident sans substance se résout en une manifeste contradiction dans les termes. Taine, entre autres, a commis plusieurs fois cette erreur phénoméniste, dans ses théories sur la perception, sur la nature des corps, sur l’idée du moi, sur l’idée de pouvoir ou de force. Il ne faut voir dans ces dernières idées, d’après lui, que de simples rapports abstraits, des collections de possibilités, de propriétés, de liaisons, en un mot, des apparences auxquelles l’ensemble de phénomènes appelé moi, par la vertu substitutrice des mots, prête une existence objective illusoire. Voilà pour la substance. Quant à la causalité, quelque nom qu’on donne à ce principe, et quelques rapports qu’on y voie avec l’analogie anthropomorphique, elle exprime simplement la nécessité pour l’esprit, vu ses expériences sur lui-même et sur les objets extérieurs, d’affirmer, de ne pouvoir nier sans contradiction un rapport de causalité ou d’antécession naturelle entre un phénomène dit cause et un autre dit effet. Il y a impossibilité pour une chose d’être en même temps antérieure et postérieure à