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variétés

mais il paraît assez que son avertissement s’adresse aux pays libres en général, qui tous plus ou moins, selon lui, sont sur la pente d’employer les formes de la liberté à restreindre le champ de la liberté réelle.

I. Le nouveau Torysme. — « La plupart de ceux qui passent aujourd’hui pour des libéraux sont des torys d’un nouveau type. » Voilà la thèse. Qu’est-ce qui, à l’origine, constituait le libéralisme ? La revendication de la liberté individuelle contre la puissance coercitive de l’État. Diminuer l’étendue de l’autorité gouvernementale, augmenter le champ d’action dans lequel chaque citoyen peut faire ce que bon lui semble, telle était la tendance essentielle des libéraux, et leurs conquêtes ont eu pour effet, comme leurs efforts pour but, de restreindre, dans tous les rapports sociaux, la part de la coopération forcée, pour augmenter d’autant celle de la coopération volontaire. Or, ce passé, les libéraux l’ont perdu de vue. À mesure que le libéralisme a pris possession du pouvoir, il est devenu de plus en plus autoritaire dans sa législation ; il a adopté dans des proportions toujours croissantes la politique qui consiste à dicter aux citoyens leurs actes, à diminuer par conséquent le champ dans lequel ils peuvent agir à leur guise.

Comment s’est fait ce changement ? Par suite d’une grossière confusion d’idées. Dans le libéralisme, en effet, le public ne vit qu’une chose, le résultat poursuivi et obtenu, c’est-à-dire l’abolition de mesures impopulaires, l’adoucissement apporté à la condition du peuple. Dès lors » le bien-être du grand nombre devint aux yeux des libéraux, hommes d’État et électeurs, l’objectif même du libéralisme. « De ce que la conquête d’un bien pour le peuple avait été, à l’origine, le trait extérieur saillant des mesures libérales, les libéraux en sont venus, (oubliant que, dans chaque cas, le bien obtenu l’avait été par une diminution de l’action restrictive de l’État), à considérer le bien du peuple, non plus comme une fin à atteindre indirectement par le relâchement des contraintes légales, mais comme la fin à atteindre directement. Et pour l’atteindre directement, ils ont employé des méthodes essentiellement opposées à celles qu’ils avaient prises à l’origine. »

Suit une série d’exemples montrant jusqu’où est allé dans ces derniers temps ce changement de politique, et où il menace de conduire, s’il ne se fait pas une réaction dans le cours actuel des idées et des sentiments. M. Spencer rend hommage (un hommage un peu ironique), aux intentions et même à la sagesse des législateurs libéraux ; il ne trouve leurs mesures, même les pires, ni moins honnêtes, après tout, ni moins bien inspirées que tant de lois à tendance philanthropique dont fourmille la vieille législation anglaise. Ce qu’il considère dans ces mesures, ce n’est pas leur fond même, c’est leur caractère de lois obligatoires. Les faits allégués commencent en 1860 sous la seconde administration de lord Palmerston, et se rapportent, par conséquent, aux vingt-quatre dernières années de l’histoire d’Angleterre, principalement aux périodes durant lesquelles les libéraux ont occupé le pouvoir sous la direction de M. Gladstone. Ces faits sont d’une valeur très inégale, et nous y