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reviendrons tout à l’heure ; mais ce qu’ils prouvent incontestablement, c’est la tendance du libéralisme contemporain à user largement de l’autorité, quand il en dispose, pour multiplier, au nom du bien public, soit les interdictions, soit les injonctions légales, donc pour restreindre en fait la liberté des individus.

Il est clair, en effet, que, à prendre même les dispositions légales les moins restrictives en apparence, les plus généreuses au contraire, et comme on dit, les plus libérales, elles se traduisent toujours par une atteinte à la liberté, du moment qu’elles entraînent une aggravation des Charges budgétaires. Suit, par exemple, la « Dotation de la Recherche scientifique ». — « Déjà, dit M. Spencer, le gouvernement donne pour cet objet une somme annuelle de 4, 000 livres (cent mille francs), que la Société Royale est chargée de distribuer ; et, en l’absence de ceux qui ont de forts motifs pour résister, qui sait si l’on n’en viendra pas, petit à petit, sous la pression des intéressés, soutenus par ceux qu’ils persuadent sans peine, à établir ce « sacerdoce de la Science » (sacerdoce rémunéré), dont sir David Brewster s’est fait dès longtemps l’avocat ? » Évidemment, dans cette voie, et à plus forte raison par les mesures qui exigent un nouvel état-major de fonctionnaires, par les créations d’intérêt public entraînant d’immenses dépenses, on est conduit à une augmentation toujours croissante des contributions ; or chaque élévation des taxes implique ce discours aux contribuables : « Jusqu’ici vous avez été libres de dépenser comme il vous plaisait cette portion de vos gains ; désormais vous n’aurez plus cette liberté, nous dépenserons cette somme pour le bien général. » Ainsi, conclut l’auteur, directement ou indirectement, et, dans beaucoup de cas, des deux manières à la fois, à Chaque pas nouveau dans cette marche de la législation coercitive, le citoyen perd quelque liberté qu’il avait auparavant ; et voilà l’œuvre du parti qui réclame le nom de libéral, et qui l’avait mérité par son ardeur à poursuivre l’extension de la liberté !

M. Spencer prévoit cette objection, « Vous oubliez la différence fondamentale entre le pouvoir qui, dans le passé, avait établi ces restrictions abolies par le libéralisme, et le pouvoir qui, dans le présent, établit ces restrictions que vous appelez anti-libérales. L’un était un pouvoir irresponsable, l’autre est un pouvoir responsable. La réglementation dont vous vous plaignez est l’œuvre d’un corps que le peuple a créé lui-même, avec mandat de faire ce qu’il fait. » Réponse : En premier lieu, la question est de savoir, non quelle est la nature de l’autorité qui s’ingère dans la vie des citoyens, mais si l’on s’y ingère aujourd’hui plus que par le passé. Suis-je moins contraint, parce que j’ai eu voix comme les autres dans la formation du corps qui me contraint ? Si des hommes usent de leur liberté pour abandonner leur liberté, en sont-ils moins esclaves ? Si un peuple, par un plébiscite se donne un despote, reste-t-il libre parce que le despotisme est sa création ? Sans doute, la relation du peuple au gouvernement n’est pas la même dans le cas d’un chef unique, irresponsable, élu une fois pour toutes, et dans le cas