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variétés

Plus l’État intervient, plus on lui demande d’intervenir ; et chaque extension de la politique d’intervention entraîne un progrès du fonctionnarisme, aggravant le fardeau qui pèse sur la liberté et sur ia fortune des citoyens. L’équilibre social est de plus en plus rompu en faveur du pouvoir, Pas n’est besoin pour cela que ses agents soient aussi nombreux que les simples membres de la communauté, car le bras de la balance ne sont pas égaux ; le plateau qui porte les représentants de l’autorité est comme situé à l’extrémité d’un long bras de levier, si bien qu’à chaque individu qu’on fait passer de ce côté, l’effet produit par ce déplacement est centuplé. Ainsi va s’affaiblissant dans une proportion effrayante la force de la masse gouvernée par rapport à celle du gouvernement. Quel avantage n’a pas un corps de fonctionnaires, même relativement peu nombreux, mais uni par la communauté d’intérêts et recevant une même impulsion centrale, sur un public sans cohésion, sans direction, et qui ne sait agir avec quelque unité que quand la provocation est par trop forte ! Comment la puissance de tels corps devient irrésistible passé un certain point, c’est ce qu’on voit par les bureaucraties du continent.

Et le mal est aggravé encore par la complicité des intérêts privés. Quelle famille ne compte ou n’aspire à compter des fonctionnaires ? L’opinion n’attache-t-elle pas au service de l’État je ne sais quelle nuance de respectabilité particulière ? L’Angleterre, paraît-il, commence à donner fort, à cet égard, dans le travers proverbial des Russes, si souvent aussi reproché aux Français. Comment le public, dans ces conditions, ne serait-il pas d’une indulgence croissante pour les empiétements du pouvoir ? L’éducation, qui pourrait être un remède jusqu’à un certain point, si elle était ce qu’elle doit être (l’auteur ici semble appeler de ses vœux une sorte d’enseignement civique), ne fait guère, telle qu’elle est donnée, qu’accroître les besoins, que multiplier les ambitieux, les solliciteurs et les mécontents. Le peuple, en effet, a beau apprendre à lire, il ne lit que ce qui l’amuse ou le flatte, Qui fera son éducation politique ? Non pas apparemment ceux qui recherchent ses votes. Tout ce qu’ils peuvent faire, quand ils ont beaucoup de courage, c’est de ne pas abonder spontanément dans le sens de ses préjugés, de ne pas se disputer entre eux ses faveurs en rivalisant de promesses à son égard. Quant à la presse, la plupart du temps elle suit le courant et en augmente la force ; comment demander aux journaux de choquer les goûts de leurs lecteurs ? Les théories communistes vont donc leur train. L’intervention de l’État, souvent critiquée pour la direction qu’elle a prise, ne l’est presque jamais en principe. Le laissez-faire est en pleine défaveur ; et ceux mêmes qui voient que la législation est sur une pente désastreuse et ne peut qu’y rouler de plus en plus, sont réduits au silence par la conviction qu’il ne sert à rien de raisonner avec des gens en état d’ivresse politique.

Or, « tout socialisme implique esclavage », car ce qui caractérise essentiellement l’esclave, c’est le fait de travailler par contrainte pour satisfaire les désirs d’un autre. Il y a sans doute mille degrés ; mais il