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lui apprendre « que les lois qu’elle découvre, les constructions synthétiques auxquelles elle aboutit, ne peuvent jamais dépasser les limites assignées à notre connaissance… et que nous ne connaissons les choses que comme elles nous apparaissent. » Un Jussieu, un Lavoisier, un Laplace, un Lamarck, un Darwin (on l’a pourtant fait dériver de Kant !) n’ont vraiment que faire des leçons des métaphysiciens, eux qui reculent chaque jour le domaine de la chose en soi, et analysent les faits si longtemps déclarés faits premiers et irréductibles, en un mot, faits de conscience. La nouvelle métaphysique, qui se fait gloire d’être la très humble servante des sciences, devrait enfin renoncer à cette prétention, bonne pour son aînée, de régenter les sciences, faute de pouvoir les supplanter.

II. — M. Cesca, nous venons de le voir, accorde à Kant tout au plus l’honneur d’avoir montré, non l’apriorité, mais la priorité des formes, Dans son étude consacrée à la doctrine kantienne de l’a priori, nous voyons le jeune criticiste italien démolir pièce à pièce la vaste construction d’un grand esprit, contempteur de la psychologie, et venu trop tôt d’un demi-siècle, si tant est que les merveilleux progrès des sciences physiques, physiologiques et psychologiques eussent dû les lui mettre en suffisante estime,

Kant, procédant de Hume et de Leibnitz, réveillé, mais non guéri par le premier de son rêve scolastique, cherche un moyen de concilier le rationalisme et l’empirisme. Au terme de son laborieux essai, il se retrouve encore à son point de départ, la connaissance a priori. Il en recherche la possibilité et aboutit au nouveau concept de l’a priori, avec lequel il franchit la distinction prioristique entre l’inné et l’acquis. Il refuse, d’un côté, toute valeur à la connaissance purement formelle, et, de l’autre, il admet une forme antérieure à toute expérience et provenant du sujet. Cet a priori, il le trouve dans le temps, l’espace, les catégories, les schémas et les principes. Mais, loin d’avoir, comme il le pensait, résolu la question de l’origine de la connaissance, il ne fait, dit M. Cesca, que mettre sur la voie de la solution. Il laisse une contradiction dans la critique entre le point de départ et le résultat, et il tient peu de compte de la psychologie. Aussi, après lui, le rationnalisme et l’empirisme, les épigones et les psychologues anglais, reprennent-ils de rechef leur tentative d’explications contradictoires. Leurs contradictions produisent une réaction kantienne. Nombre de philosophes restent attachés à la critique de la raison pure et en acceptent tous les résultats ; d’autres sont amenés par les progrès de la psychologie à refaire et à compléter l’œuvre critique. Les néo-kantiens cherchent à débarrasser de tout rationalisme la critique de ia raison pure : ils répudient la connaissance et admettent la forme a priori. Les néo-criticistes n’admettent pas les formes kantiennes comme originaires et irréductibles ; mais leurs profondes analyses les forcent à en admettre une, c’est l’unité synthétique de la conscience. Qui avait raison, Kant ou ses demi-disciples ? M. Cesca cherche la réponse à cette question