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est en dehors du domaine de l’expérience. — 3o La question de savoir si les formes de l’intuition et de la pensée sont applicables aux choses en soi (en supposant qu’elles existent) sort de la sphère de l’expérience. — 4o Le monde pour moi est un monde subjectif de phénomènes qui se construit à l’aide de mes sensations et de mes fonctions intellectuelles, conscientes et inconscientes. — 5o Qu’il y ait ou non d’autres mondes en dehors de ce monde subjectif, l’expérience ne peut pas nous le prouver.

Si maintenant nous passons au point de vue de l’idéalisme transcendantal, nous pouvons y distinguer deux branches : l’idéalisme transcendantal conséquent qui, partant de ce fait que nous ne pouvons rien connaître des choses en soi, nie la possibilité de leur existence, et l’idéalisme transcendantal inconséquent, qui, tout en admettant comme incontestable l’existence des choses en soi, affirme que ce monde transcendant ne peut pas exister dans les chaînes de l’espace, du temps et des formes logiques de la pensée. Ces deux idéalismes reposent sur une fausse application du principe du tiers exclu. On ne considère que ces deux oppositions : l’espace et le temps sont ou des propriétés des choses en soi, ou des formes de la pensée. On laisse de côté le cas où ils seraient à la fois des formes de la pensée et des propriétés de la chose en soi. D’autre part, on considère l’existence comme transcendante ou immanente ; mais on laisse de côté le cas où elle serait à la fois transcendante et immanente.

On a essayé de fonder l’idéalisme sur deux preuves, l’une déductive, l’autre empirique. La première de ces preuves peut se formuler de la façon suivante : Si j’essaie de penser quelque chose qui dépasse la sphère de ma conscience et par suite n’appartient pas à son contenu, cette tentative échoue tant que dure la condition imposée aux objets, pour arriver à la pensée, d’être nécessairement hors de la conscience ; mais, à l’instant où cette tentative semble réussir, la pensée entre dans la sphère de la conscience, de sorte que je ne pense plus alors la chose en soi mais ma propre pensée. Cette preuve, selon M. H.,ne tient pas, s’il s’agit de l’idéalisme inconséquent. Mais bornons-nous à l’idéalisme radical. La démonstration indirecte de cet idéalisme serait irréfutable si l’hypothèse de l’hétérogénéité complète d’une chose en soi et de la conscience était clairement prouvée. Mais cette hypothèse renferme une pétition de principe, qui résulte de la confusion du scepticisme avec le dogmatisme négatif. Parce qu’une expérience immédiate ne nous fait rien connaître sur l’homogénéité de la chose en soi et du contenu de la conscience, nous avons le devoir de douter de cette homogénéité et d’admettre la possibilité d’une hétérogénéité complète ; mais nous n’avons pas le droit de passer de ce doute sur l’homogénéité au dogmatisme négatif de l’hétérogénéité, parce que nous nous attribuerions par là une connaissance des choses en soi que nous venons de nous refuser.

La preuve empirique de l’empirisme repose sur cette proposition que,