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tère non perceptible. — 3° Les choses sont liées entre elles par une causalité réciproque, et celle-ci est, de son côté, objet de perception. — 4° Les choses sont comme elles sont perçues, même quand elles ne nous affectent pas, autrement dit nous percevons des choses en soi, des substances. — 5° En tant que les choses en soi sont perçues par tous les êtres doués de perception, elles constituent pour ces êtres un seul et unique monde de choses en soi qui, en qualité d’objet universel de perception, forme l’intermédiaire causal, le lieu des pensées et des efforts chez les divers sujets conscients.

Une semblable théorie a besoin d’être justifiée, dit M. Hartmann, mais nous ne pouvons pas même lui attribuer le caractère de connaissance théorique : elle a surtout pour fonction de rendre possible une orientation pratique dans le monde ; elle est avant tout une sorte d’abréviation conventionnelle et commode. Dans d’autres conditions cette théorie ne se soutient pas, et cela pour les raisons suivantes.

a) Le réalisme naïf est en effet en contradiction avec la conception physique du monde. Celle-ci met en évidence les principes suivants : 1° Nous ne percevons pas les choses mêmes, mais leur action sur nos sens. — 2° Ce qui est perçu ne peut pas être considéré comme le caractère même des choses en soi, à l’exception des déterminations dans l’espace et le temps, c’est-à-dire des déterminations de situation et de mouvement. — 3° La causalité réciproque des choses ne peut être perçue que si elle est liée à une action causale sur nos sens. — 4° Les choses en soi, indépendamment des changements produits par la causalité, sont constantes et leur existence est continue ; les perceptions, au contraire, sont intermittentes et discontinues ; les choses en soi, substantielles et douées d’activité, sont impossibles à percevoir et ne peuvent qu’être déduites des perceptions qu’elles provoquent. — 5° Le monde des choses en soi est unique pour tous les sujets : mais les perceptions et les opérations des pensées qui servent à le construire pour la conscience, sont en chaque sujet conscient numériquement différentes, même quand elles sont tout à fait semblables par le contenu.

b) Le réalisme naïf contredit encore les résultats de la physiologie. D’après la physiologie en effet nous ne percevons ni ces choses ni leur action immédiate sur nos sens, ni même les extrémités de la longue chaîne des causes dans le cerveau, mais purement et simplement le produit tout spirituel d’une activité réactive et inconsciente de l’âme qui est inconsciemment et régulièrement mise en jeu par les ébranlements moléculaires du cerveau. Il n’y a que les produits de cette activité, en tant qu’ils entrent dans la conscience, qui soient par leur nature susceptibles d’être perçus.

c) Enfin le réalisme naïf est antiphilosophique, car, dit M. H., la philosophie établit les principes suivants : 1° Nous percevons simplement le contenu individuel de la conscience, c’est-à-dire les modifications d’un état d’âme particulier. — 2° La question des choses en soi