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ces inclinations, loin d’être inhérentes à la nature humaine, ou bien font totalement défaut dans certaines circonstances sociales, ou, d’une société à l’autre, présentent de telles variations que le résidu que l’on obtient en éliminant toutes ces différences, et qui seul peut être considéré comme d’origine psychologique, se réduit à quelque chose de vague et de schématique qui laisse à une distance infinie les faits qu’il s’agit d’expliquer. C’est donc que ces sentiments résultent de l’organisation collective loin d’en être la base. Même il n’est pas du tout prouvé que la tendance à la sociabilité ait été, dès l’origine, un instinct congénital du genre humain. Il est beaucoup plus naturel d’y voir un produit de la vie sociale, qui s’est lentement organisé en nous ; car c’est un fait d’observation que les animaux sont sociables ou non suivant que les dispositions de leurs habitats les obligent à la vie commune ou les en détournent. — Et encore faut-il ajouter que, même entre ces inclinations plus déterminées et la réalité sociale, l’écart reste considérable.

Il y a d’ailleurs un moyen d’isoler à peu près complètement le facteur psychologique de manière à pouvoir préciser l’étendue de son action, c’est de chercher de quelle façon la race affecte l’évolution sociale. En effet, les caractères ethniques sont d’ordre organico-psychique. La vie sociale doit donc varier quand ils varient, si les phénomènes psychologiques ont sur la société l’efficacité causale qu’on leur attribue. Or nous ne connaissons aucun phénomène social qui soit placé sous la dépendance incontestée de la race. Sans doute, nous ne saurions attribuer à cette proposition la valeur d’une loi ; nous pouvons du moins l’affirmer comme un fait constant de notre pratique. Les formes d’organisation les plus diverses se rencontrent dans des sociétés de même race, tandis que des similitudes frappantes s’observent entre des sociétés de races différentes. La cité a existé chez les Phéniciens, comme chez les Romains et les Grecs ; on la trouve en voie de formation chez les Kabyles. La famille patriarcale était à peu près aussi développée chez les Juifs que chez les Indous, mais elle ne se retrouve pas chez les Slaves qui sont pourtant de race aryenne. En revanche le type familial qu’on y rencontre existe aussi chez les Arabes. La famille maternelle et le clan s’observent partout. Le détail des preuves judiciaires, des cérémonies nuptiales est le même chez les peuples les plus dissemblables au point de vue ethnique. S’il en est ainsi, c’est que l’apport psychique est trop général pour prédéterminer le cours des phénomènes sociaux. Puisqu’il n’implique pas une forme sociale plutôt qu’une autre, il ne peut en expliquer aucune. Il y a, il est vrai, un certain nombre de faits qu’il est d’usage d’attribuer à l’influence de la race.