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par Descartes, auxquels nous ne pouvons dénier d’avoir eu une clarté d’idées au moins égale à la nôtre ; ils l’ont entendue comme nécessaire (donc a priori), et s’ils l’ont motivée, ils n’en ont pas en réalité donné d’autre raison que l’impossibilité où ils se reconnaissaient d’avoir l’intuition du vide ; elle est donc bien absolument a priori. A-t-elle pour cela une certitude objective ?

« Le vide est possible dans la nature », répondent Démocrite et Gassendi, esprits certainement aussi lucides que le Stagirite ou que l’auteur du Discours de la Méthode. Qui prononcera ? La logique est impuissante ; c’est la thèse de Kant, comme de M. Milhaud. Il ne faut pas. parler de l’expérience, quoique Pascal ait malheureusement brouillé les idées à ce sujet ; il s’agit en effet d’une question de connaissance pure, en dehors de toute expérience possible.

Kant a purement et simplement écarté les jugements synthétiques a priori de ce genre, sans nous expliquer comment la contradiction était possible. Ses catégories ont été construites de façon à ce que son système se tînt solidement en apparence, et à ce que la lacune qu’il offrait fût dissimulée aux yeux. Mais voilà qu’une contradiction se produit sur une des données fondamentales de l’intuition géométrique ; successivement les autres sont plus ou moins ébranlées à leur tour. Le système peut-il subsister ?

M. Renouvier ne s’est pas trompé, quant à lui ; il a bien reconnu le danger ; mais est-ce y parer que de traiter d’absurde une intuition qui n’est pas la nôtre ?

Sans aucun doute, l’idéalisme kantien n’est de fait nullement compromis ; les empiristes, Helmohltz en tête, sont aujourd’hui les premiers à adopter la doctrine transcendantale de l’espace ; la Critique de la Raison pratique n’est pas touchée ; il n’en est pas moins clair que le défaut de critérium pour les données a priori de l’intuition géométrique, et la constatation de fait que ces données sont susceptibles de contradiction, ébranlent absolument au point de vue logique la certitude objective de la science mathématique ; or cette certitude est pour Kant un point capital, puisqu’elle lui fournit un exemple qui manquerait sans cela, et que cet exemple lui est indispensable pour affirmer la possibilité d’une certitude métaphysique. On aboutirait donc à un scepticisme transcendantal (il n’y a aucune garantie de la vérité objective des jugements synthétiques a priori), corrigé tout au plus, dans la pratique et pour les phénomènes, par la possibilité de l’expérience.

N’y a-t-il donc aucun moyen de sauver ce qu’il y a. d’essentiel dans la doctrine de Kant ? C’est là le point à discuter ; je ne puis, aujourd’hui, qu’exposer brièvement mon opinion à ce sujet.

Reprenons l’exemple du jugement synthétique a priori sur la possibilité ou l’impossibilité du vide. Quelle est, à l’heure actuelle, l’attitude des physiciens sur cette question ? Pour eux, elle n’existe pas en réalité ; les conceptions du vide ou du plein ne sont que des façons de se représenter les phénomènes à un degré où nous ne pouvons pas les