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ANALYSES. — j. de gaultier. Le bovarysme


à la fin de sa préface, déclare que son but a été de mettre entre les mains de quelques-uns un appareil d’optique mentale, une lorgnette de spectacle qui permette de s’intéresser au jeu du phénomène humain par la connaissance de quelques-unes des règles qui l’ordonnent il me parait se contredire quelque peu. Lui aussi, en cela, il vise à « instituer une réforme ». Modifier les idées, les habitudes mentales, les procédés de contemplation des hommes, c’est modifier leur conduite, c’est transformer en quelque chose leurs actes, et cela contredirait certaine espèce de fatalisme, mais sans s’opposer pas plus que la transformation de la conduite au déterminisme absolu. M. de Gaultier, d’ailleurs, ne croit pas qu’il soit possible de se soustraire entièrement à l’influence du langage et aux illusions qu’il détermine par l’empreinte qu’ont laissée sur lui les croyances communes au sujet de l’activité de l’homme.

Je pense que peu de personnes comprendront à première vue le titre du livre de M. de Gaultier. Le <’ Bovarysme » n’est point du tout ce qu’on pourrait croire. C’est simplement la faculté, « tepouuou’dëpat’tt à l’homme de .se co~ceuou* autre ~M’tt n’est a. Et si M. de Gaultier a choisi pour ce pouvoir ce nom de Bovarysme, c’est qu’il l’a trouvé singulièrement marqué chez les personnages de Flaubert, et, en particulier, chez une des plus célèbres héroïnes du roman français. II s’y réalise d’ailleurs sous un aspect morbide. M. de Gaultier commence par l’envisager aussi sous cet aspect, se réservant de montrer ensuite son universalité, d’en rectifier la conception, de déterminer son utilité, sa nécessité et de préciser son rôle comme cause et comme moyen essentiel dans l’évolution de l’humanité.

La première partie du livre est ainsi consacrée à la pathologie du bovarysme. L’auteur l’étudie d’abord chez les personnages de Flaubert ; il en analyse les causes, la nature et le fonctionnement « une défaillance de la personnalité, tel est le fait initial qui détermine tous les personnages de Flaubert à se concevoir autres qu’ils ne sont. Pourvus d’un caractère déterminé, ils assument un caractère différent, sous l’empire d’un enthousiasme, d’une admiration, d’un intérêt, d’une nécessité vitale. Mais cette défaillance de la personnalité est toujours accompagnée chez eux d’une impuissance, et, s’ils se conçoivent autres qu’ils ne sont, ils ne parviennent point à s’égaler au modèle qu’ils se sont proposé. »

Il faut généraliser le « bovarysme » et rechercher d’abord à quelles conditions mentales il se rattache. Il est lié au fait de la conscience qui reflète « en même temps que l’image des sentiments, des pensées, des actes individuels, l’image aussi des sentiments, des pensées, des actes étrangers. » Ces images deviennent un principe d’hypnose et de suggestion, la base de l’imitation, elles risquent d’égarer l’esprit, de le tromper sur sa nature et ses aptitudes, et le bovarysme se trouve ainsi rattaché à un ensemble d’influences extérieures qu’on peut désigner par le nom d’éducation.