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Cette tendance rationaliste et dogmatique entraîne comme conséquence directe un optimisme social et moral qui dérive tout naturellement de la croyance au triomphe final de la Raison. Si la société renferme actuellement une dose incontestable de mal, d’injustice et de misère, ce mal ne peut être qu’accidentel et passager. Il tient uniquement à l’ignorance et à l’erreur. Assurez le triomphe de la raison ; éduquez les intelligences et les volontés : l’injustice, la misère et la révolte disparaîtront. La raison ne peut avoir tort. Au fond la société est bonne, comme la nature.

L’éducation est la panacée sociale universelle et infaillible. Il n’y a qu’à rendre la vérité sociale et morale accessible et intelligible à tous pour amener l’avènement de la meilleure des sociétés.

Cette conception est, de plus, essentiellement unitaire, conformiste, autoritaire et étatiste. Celui qui est en possession de la vérité ne peut pas ne pas vouloir l’universaliser dans les esprits et dans les cœurs. Le but à atteindre est l’unité intellectuelle et morale de la race humaine ou tout au moins des grands groupes humains sur lesquels l’éducation peut agir dès maintenant. L’éducation ainsi entendue tend à revêtir un caractère autoritaire, obligatoire, étatiste. On arrive à la conception platonicienne de l’État maison de correction et d’éducation, conception qui rentre elle-même dans cette autre conception plus générale qui domine tout le droit antique : l’État maître de l’Individu, l’Individu chose de l’État. Dans cette conception l’État lui-même devient une pédantocratie rationaliste et dogmatique.

Ajoutons que l’éducationisme, qui fut chez un Platon et qui reste encore aujourd’hui dans son fond dernier une conception aristocratique, n’en est pas moins susceptible de se concilier dans une certaine mesure avec les aspirations du moderne esprit démocratique. Comment cela ? C’est que la théorie éducationiste favorise un préjugé faussement et inintelligemment démocratique, faussement et inintelligemment égalitaire. C’est ce préjugé fort répandu qui consiste à croire que l’éducation seule (au sens de transmission d’un certain nombre de connaissances) établit des différences entre les hommes. — Cette croyance en effet flatte l’amour-propre de M. Tout-le-Monde. Le premier venu se dit que s’il avait eu à sa disposition la même éducation, il eût été capable d’égaler tel ou tel dont il est contraint d’admirer les œuvres ou de reconnaître le talent. Nous avons entendu plus d’une fois des hommes du peuple dire d’un homme dont ils venaient d’admirer le talent dans quelque réunion publique ou dans quelque conférence : « Faut-il qu’il ait étudié ! » — Expression naïve du préjugé égalitaire appliqué à l’esprit. Cela