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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 67.djvu/463

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la reviviscence ? La qualité-forme des émotions, la « gestaltqualität » est-elle saisie comme telle dans une sorte de sentiment des relations ?

L’analyse des modes originels d’appréhension montre clairement qu’il y a des éléments de forme qui sont sentis : des éléments qui ne sont pas rigoureusement ramenés à des parentés explicites de contenu. Dans l’étude complète que j’ai faite du sujet[1], j’ai distingué deux facteurs dans les objets les plus primitifs d’appréhension : 1o il y a le « contenu » proprement dit, l’image ou le schéma connus ; 2o il y a aussi une « tendance » (intent), une masse plus vague et plus indéterminée de connotations qui s’attachent au contenu. De tout ce qui constitue l’état en question, cette « tendance » est ce qu’il y a de plus personnel et de plus sélectif. Elle fait partie de ce qui est saisi, appréhendé ; mais elle n’en constitue pas la partie cognitive ; elle est sentie. Dans la plus primitive constitution d’objets, il y a une sorte de « pénombre » ou de marge ; un sentiment d’« altérité » ou de complication ou le sentiment de la présence d’une vague forme, mais qui n’est pas ramené à la connaissance d’une différence ou d’une relation.

Cette sorte de contenu que constitue la « tendance » se trouve être d’une grande importance relativement à certains des problèmes essentiels de la logique. La relation a sa forme originelle dans une pure « relativité », ou altérité sentie ; de même encore la ressemblance, la différence, l’identité, etc., sont des modes de sentiment, d’appréhension ou de présentation affectives, avant d’être confinés dans le domaine cognitif. La négation a ses racines dans ce sentiment d’altérité ou de différence qui isole des réalités dans leurs formes simples d’événement. Et beaucoup des modes plus élevés de réalité personnelle et sélective appelés « valeurs » pénètrent génétiquement dans la conscience à titre de sentiments ; et de fait ils peuvent ne jamais devenir cognitifs, et garder leur forme de « tendance ».

Dans l’ouvrage que je viens de citer, j’ai traité ce point avec beaucoup de détails. Ici je ne puis que signaler le caractère fondamental de ce mode d’appréhension, qui est une forme de présen-

  1. Thought and Things, vol. I, chap. iii, § 1, 2 (trad. franc., p. 57-85) et chap. vii, § 1, 2 (trad. franc., p. 226-240). Voir aussi Sheldon, « Analysis of simple apprehension », Psychological Review, mars 1902.