Page:Riccoboni - Œuvres complètes, Tome 1, 1818.djvu/487

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voulu faire pour la beauté modeste et sans appui, ce que mes pareils font tous les jours en faveur de la bassesse, du vice et de l’impudence. Votre amie ne jouit point d’une opulence passagère ; elle est riche, libre et indépendante. Ayant joué tout l’hiver d’un bonheur constant, tenté la fortune sans pouvoir la lasser, avant de partir pour l’Italie, je me trouvois une somme considérable, dont rien ne m’empêchoit de disposer ; je la destinai à changer le sort de l’aimable élève de votre frère : mon dessein était de vous la remettre, mais votre départ me força à prendre d’autres mesures. Dirigé par madame Duménil, je déposai une partie de la fortune d’Ernestine, chez l’homme public, où vous-même, Mademoiselle, aviez placé ses premiers fonds ; la terre qu’elle habitoit lui appartient ; elle est acquise sous son nom et par les soins de cet honnête homme : si j’ai caché les miens à votre jeune amie, c’est par un sentiment dont vous ne pouvez me blâmer. Vous savez tout à présent, jugez-moi, Mademoiselle, et daignez me dire si le mystère de ma conduite vous paroît criminel, si j’ai mérité qu’Ernestine me demande : Êtes-vous un homme perfide » ?

Henriette rêva un moment ; la noble franchise de M. de Clémengis, sa générosité, un amour si tendre, si désintéressé, lui paroissoit un sentiment nouveau ; le grand monde où elle vivoit depuis son enfance, ne lui en avoit jamais donné l’idée. Elle commençoit à regarder l’ami d’Ernestine avec une sorte de vénération ; mais cherchant encore à s’assurer si elle ne se trompoit point : « Consentiriez-vous, Monsieur, lui dit-elle, à laisser jouir Ernestine de vos bien-