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la chanson des gueux


J’ai fait sur ma route inconnue
Bien des enfants, fils de l’exil ;
Déjà ma vieillesse chenue
A reverdi dans leur avril.

Mais où sont-ils ? Hélas ! que sais-je ?
Faits hier, oubliés demain !
Retrouveras-tu sous la neige
Ce que tu semais en chemin ?

Et maintenant, moi, le vieux mâle,
Qui dois être au moins trisaïeul,
Quand me viendra l’heure où l’on râle,
Comme un chien je crèverai seul.

Fils, la jeunesse n’est pas sage.
On rit, on s’amuse, et l’on croit
Que la vie, oiseau de passage,
Va revenir après le froid.

Nos jours ne sont pas hirondelles.
Partis, ils reviendront au temps
Où les crapauds auront des ailes,
Où les poules auront des dents.

On suit son cœur, on suit son ventre,
On va !… Puis, en tournant les yeux,
On voit que c’est là-bas, au diantre,
Qu’est la jeunesse,… et l’on est vieux.