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ii
la chanson des gueux

— Que penseriez-vous, ai-je dit à mon éditeur, d’une traduction des vers défendus, d’une traduction en latin, par exemple, dans cette merveilleuse langue qui brave l’honnêteté ?

— Les magistrats, me répondit-il, reconnaîtraient vos gredins de mots en rupture de ban, et nous repinceraient au demi-cercle, si j’ose m’exprimer ainsi.

— Ils savent donc le latin ?

— Comme le français.

— C’est peu.

Je me rabattis sur le grec. Mais mon éditeur, qui pense à tout, me fit observer qu’en ce temps où tout le monde apprend le grec, personne ne le sait, pas même les professeurs qui l’enseignent, et qu’ainsi, moi qui le sais jusqu’à l’accentuation inclusivement, j’aurais l’air de vouloir étaler ma puissante érudition.

Finalement il me conseilla, si je tenais mordicus à traduire mes ordures, de les traduire dans la langue la plus inconnue que je pourrais imaginer, et il me démontra subtilement que c’était encore là le moyen le plus sûr pour éviter les nouvelles poursuites.

Je songeai alors à la langue kachikale, qui n’est pas, en effet, d’une notoriété mirobolante. Mais hélas ! il n’en existe qu’une seule chaire dans le monde entier,