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Page:Richepin - Les Blasphèmes, 1890.djvu/126

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LES BLASPHÈMES

Et que, lorsque j’ai faim, je mange peu ou prou,
Pourvu que je possède en un coin quelque trou
Où reposer le soir ma tête et ma chair lasses,
Je ne demande point au destin d’autres grâces,
Et j’estime que tous les bonheurs sont du vent
Comparés à celui de se sentir vivant.
Donc ce Jésus pour moi ne valait pas grand’chose.
Qu’il eût en orgueilleux rêvé l’apothéose,
Ou qu’il fût bonnement un simple, je ne sais.
Mais je sais que les Dieux présents, les Dieux passés
Et les Dieux à venir ne sont jamais en somme
Que des mensonges vains qui font du mal à l’homme.
Or ce Jésus, malgré sa très grande douceur,
Se disait fils de Dieu. D’autre part la rousseur
De ses cheveux et de sa barbe, et ses mains blanches,
Me déplaisaient. Mes mains, à moi, sont des éclanches
Que le travail sans fin rend noires ; mes cheveux
N’ont pas l’air d’un chignon de pucelle ; et je veux,
Pour m’en faire un ami, qu’un homme soit un mâle.
Donc, après tout, tant pis pour ce fou, faible et pâle !
Cette religion, dans l’œuf on l’étoufTait.
Le Dieu venait mourir en croix. C’était bien fait.

Aussi, quand il passa, sanglant, sous ma fenêtre,
A mon regard tranquille et froid il put connaître