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Page:Richepin - Les Blasphèmes, 1890.djvu/67

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SONNETS AMERS

XX

MANGEURS D’IDÉAL


Ce qui flétrit nos cœurs et les trempe de fiel,
C’est le besoin de voir l’invisible Substance.
Il faudrait simplement jouir de l’existence
Et, sans l’analyser, en savourer le miel.

Mais nous lui préférons ce mets artificiel,
L’Idéal, où toujours notre fringale intense
S’épuise en appétits au bord de la pitance.
La Terre est à la fois si près, si loin du Ciel !

De nous rassasier quand viendra l’heure heureuse ?
Cependant qu’affamés de cette viande creuse
Nous haletons, le miel, le bon miel, coule et fuit,

Et nous n’avons, des deux pâtures, pas plus l’une
Que l’autre. Tel un chien qui jeûne dans la nuit,
Ayant perdu son os pour japper à la lune.