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MES PARADIS

Ô lecture, travail, Lettres magiciennes !
Il fait froid ; il fait nuit ; aux fentes des persiennes
Le vent aigu glapit dans son aigre hautbois ;
Les pieds chauds aux chenets flambants d’un feu de bois,
Rien ne venant troubler ma paix, ma solitude,
Que de soirs merveilleux j’ai passés à l’étude,
Immobile comme un vieillard, dans la douceur
De vivre avec un cher poète, un grand penseur,
Sans que minuit sonné m’empêchât de poursuivre,
Sous le regard ami de ma lampe de cuivre !
Parfois, c’est un auteur aboli que je tiens,
Et je songe : « Ses vers, ainsi qu’à toi les tiens,
« Lui furent doux alors qu’il se sentait en veine,
« Ah ! si ta gloire était, comme est sa gloire, vaine !
« Si ton œuvre dans l’ombre aussi s’engloutissait !
« Il se crut immortel. On ne sait plus qui c’est. »
Et me voilà pour lui pris d’une pitié tendre.
Comme s’il était là, ravi de les entendre,
Je dis ses vers tout haut, de ma plus belle voix,
J’en fais sonner l’or tel qu’il sonnait autrefois,
Et je lui rends un peu de cette heure bénie
Où lui-même et son temps croyaient à son génie.
Il en avait, parbleu ! Tous n’ont pas mérité,
Ces abolis, l’oubli de la postérité.
Que d’injustes brevets souvent elle délivre !
Dans ma bibliothèque ainsi ce pauvre livre