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LES ÎLES D’OR

Perchait obscurément sur les sombres hauteurs.
Fais-lui place au grand jour, rayon des bons auteurs !
Ah ! ces bons, qu’ils sont bons ! Famille aimée, aimante,
Innombrable, et dont tous les jours le nombre augmente !
Chaque admiration neuve en grossit les rangs.
Plus on vieillit, plus on y compte de parents.
Parents miraculeux, puisque l’on en partage,
Sans qu’ils meurent, et sans l’amoindrir, l’héritage !
Parents prodigues ! Tous les siècles, les pays,
Ils en lèguent les biens à nos yeux ébahis.
Plus de durée en y plongeant, plus de distances !
Quand on vit avec eux, on vit mille existences.
Quelque monde qu’on cherche, ils en ont le chemin.
Une bibliothèque est tout le genre humain,
Et partout où passa dans le temps et l’espace
Son action, son vœu, son rêve, on y repasse.
On en est la mémoire ; on le voit, on l’entend
Qui reprend conscience en vous, ressuscitant.
Tout se réveille, tout renaît, contrée, époque,
Au Sésame-ouvre-toi du livre qui l’évoque,
Et d’un réveil si net, que soi-même en effet
On est contemporain des amis qu’on s’y fait.
Avec le Pentaour exhumé d’une crypte,
N’ai-je pas habité ton sol, antique Égypte,
Porté le pschent, et sur le Nil aux bords fumants
Chassé les ibis bleus et les roses flamants ?