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LES ÎLES D’OR

Jérémie, Isaïe, Ézéchiel, nabis,
Souillons nos fronts de cendre, arrachons nos habits,
Soufflons contre les rois les fureurs populaires !
Iaveh va montrer au vent de nos colères
Babylone croulant de la base aux créneaux.
Catulle, le plus suave des moineaux
Est donc mort ? Lesbia, les paupières rougies,
En pleure ! Ciselons l’or fin des élégies,
Et faisons, pour l’honneur des délicats amants,
De ces pleurs enchâssés d’immortels diamants.
Sous ton rouge bonnet j’ai ta prunelle ardente,
Et j’ai ta bile, et j’ai tes rancunes, ô Dante,
Et je les hais, tous ceux que la torture tord,
Damnés justement, certe, eux qui t’avaient fait tort.
En hiéroglyphes blancs tracés sur des peaux brunes
Les héros des Sagas m’ont enseigné les Runes ;
Nous avons empourpré la mer couleur de fiel ;
Et l’écume du sang a jailli jusqu’au ciel ;
Et nous avons chanté sur les harpes de pierre,
Fous de fureur, de coups, d’hydromel et de bière.
Saadi, j’ai touché tes roses de carmin
Et l’odeur de la rose est toujours sur ma main.
Ô Shakespeare, empereur de toute l’âme humaine,
Tu m’as montré de long en large ton domaine,
Et rien qu’avec toi seul, ô Shakespeare, on connaît
Tout le tas de vertus et de vices qu’on est.