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par une petite porte qui est réservée pour les criminels ; or elle était fermée, il fallut attendre. Enfin la porte s’ouvre. Nous entrons dans une vaste cour qui conduit à un grand bâtiment, c’est le tribunal, mais j’ignorais alors sa destination. On me dépose dans une petite chambre qui se trouve par côté. À peine les satellites eurent-ils échangé quelques paroles entre eux que je compris tout ; je me trouvais transporté au tribunal de gauche. Mais pour quel motif ? Ordinairement quand on change de tribunal, c’est que le procès doit être fait plus rapidement, et prendre une autre tournure. Il y avait longtemps qu’on avait l’air de ne pas s’occuper de moi, et je désirais qu’on donnât. une décision, qu’on prit une détermination. Rien ne fatigue comme une détention prolongée. Il y avait longtemps que j’étais prêt à tout événement, à tout souffrir, même la mort, pour la plus grande gloire de Dieu, pour le salut des âmes. Beaucoup d’employés des tribunaux vinrent me voir, j’en connaissais quelques-uns que j’avais vus au tribunal de droite. Inutile de leur adresser des questions, ils auraient répondu d’une manière évasive, ou bien m’auraient dit un mensonge. Le mieux était de les écouter parler entre eux ; de fait, bientôt j’eus appris qu’il s’agissait d’un jugement que je devais subir devant les deux juges criminels de droite et de gauche, réunis à cet effet, et qui allaient enfin prononcer une sentence. Je priai Notre Seigneur de me soutenir et de mettre dans ma bouche des paroles de sagesse pour répondre suivant son esprit et pour le bien de la religion dans cette pauvre mission, éprouvée depuis si longtemps par tant de tribulations.

Que pouvais-je prévoir ? Allait-on me permettre de rester ? ce n’était guère probable, après tout ce qui venait de se passer. Allait-on me renvoyer en Chine comme on en avait eu l’intention ? c’était ce qu’il y avait de plus défavorable pour la religion ; mais d’après les paroles entendues, ce n’était pas probable. Enfin, dernière hypothèse, allait-on me mettre à mort ? c’est ce qu’il y avait de plus clair, et je pouvais espérer qu’après quelques jours de souffrances encore, j’allais être enfin débarrassé des peines de cette vie, pour posséder le bonheur de voir Dieu toute l’éternité !… Les grâces de Notre-Seigneur ne manquent pas dans ces circonstances ; appuyé sur ce secours, je me sentais fort ; j’invoquai Notre-Seigneur, la Très-Sainte Vierge, etc., et je me remis tout entier entre les mains de Dieu. L’endroit que j’habitais était rempli de satellites qui parlaient, criaient, riaient, fumaient et auxquels il me fallait répondre, ce qui ne prêtait pas