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beaucoup au recueillement. On attendait depuis longtemps, lorsqu’enfin on vint avertir que les juges me demandaient.

Aussitôt je me lève et les satellites s’empressent de m’emmener dans la grande cour où ils me remettent entre les mains d’un bourreau, qui tenait à la main une corde rouge ; c’est la corde qui sert à lier les grands criminels, les voleurs, les assassins ; elle peut avoir deux brasses de long, à l’une des extrémités est un ornement de cuivre en forme de tête de dragon, une douzaine de boules ou anneaux du même métal sont enfilés dans la corde. Le bourreau me prit assez doucement, et se mit en devoir de m’attacher ; il me passa la corde par-dessus les épaules en la croisant sur la poitrine, l’attacha par derrière, et retint en main l’extrémité qui simulait la queue du dragon. Ainsi équipé et harnaché, on me fait avancer à l’endroit où doit avoir lieu le jugement, à quelques pas seulement. Je crois que le peuple n’était pas admis, mais il y avait beaucoup de soldats de la garnison et du palais venus en curieux, et des employés du gouvernement. Nous marchons entre deux haies formées par les employés subalternes de la préfecture de police ; il y en a une trentaine à droite et autant à gauche, ils ont des pantalons blancs, des vestes noires ou bleu foncé plus ou moins propres, et sont tous armés d’énormes bâtons rouges, de la grosseur d’un bras et longs de huit pieds, ce sont les bourreaux. On me fait arrêter sur une espèce de paillasson, qu’on avait jeté au milieu de la cour. En avant et de chaque côté, se trouvent les chefs des satellites, je reconnais ceux du tribunal de droite qui se trouvent à ma gauche ; les scribes étaient à leur place au milieu des satellites, et se disposaient à écrire. Au fond et vis-à-vis l’endroit où j’étais arrêté, à dix pas de moi, se trouvait la chambre où les deux juges de droite et de gauche étaient assis sur des nattes à fleurs ; des coussins en soie leur servaient d’appuis. Ils étaient en grand uniforme, des bonnets ou mitres en crin avec des volants pendant de chaque côté, de grands habits de soie bleue retenus par une ceinture richement ornée d’écailles de tortue ou de pierres précieuses. Celui de droite s’appelle Kim, je l’avais déjà vu, il a une figure ronde, réjouie et parait avoir de quarante à cinquante ans ; celui de gauche, Ni-Kyeng-ha, le juge de Mgr Berneux et de nos autres confrères, célèbre par ses nombreuses exécutions en 1866-68, paraît avoir soixante ans ; il a des yeux de tigre, une figure allongée, sévère et féroce, qui indique le mépris et la cruauté ; il ne rit jamais, n’écoute aucune supplication, aucun conseil, et veut seul décider par lui-même, caractère dur et tranchant.