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traître Hpi Paul son neveu, qu’elle avait élevé, elle fut arrêtée en même temps que nous. Il y avait cinq ou six jours que j’étais arrivé, lorsqu’on vint enlever son cadavre qui avait été oublié, pour l’emporter on le plaça dans une chaise à porteurs. Un gardien vint dire en riant : « De ce corps il ne reste plus que les os, les rats et les belettes l’ont tout mangé » et les autres d’ajouter : « C’est une drôle de chose et vraiment bien juste que les belettes mangent ces coquins de chrétiens. » Les chrétiens, au contraire, récitaient des prières pour la pauvre défunte, chacun pouvait penser que bientôt il suivrait la même route.

VII

Le chef geôlier était de nos amis, bien souvent il venait passer les soirées avec nous, avant la fermeture des portes. Peu instruit, ne sachant ni lire ni écrire, il avait, sous un extérieur rude, bien des qualités. Il remplissait ses fonctions depuis vingt ans, commandant et se faisant obéir, mais aussi toujours soumis aveuglément aux ordres de ses chefs. Plusieurs fois le vieux l’a catéchisé, il trouvait la doctrine juste et belle et écoutait volontiers, mais sans être touché ; il restait indifférent et semblait avoir un cœur de pierre. J’ai dit qu’il était notre ami, de fait il ne nous a jamais maltraités ni rudoyés, quelquefois même, il a semblé avoir quelques sentiments de compassion à mon égard ou à l’égard des femmes ; mais aussi, d’un moment à l’autre, sur l’ordre du juge, il n’eût pas hésité à nous mettre la corde au cou et à nous étrangler. On lui demandait un jour s’il avait vu des chrétiens : « Si j’en ai vu, dit-il, c’est par centaines. — Étaient-ce des hommes bons, tranquilles ? — Oh ! c’étaient les meilleurs hommes du monde, doux, calmes, paisibles, ne parlant, point mal du prochain, n’injuriant personne, ne faisant pas de bruit, parlant peu et paraissant toujours recueillis. — Est-ce qu’on en a tué beaucoup ici ? — À cette époque la prison en était pleine, et pour faire de la place, tous les jours nous en étranglions un certain nombre ; on ne les gardait guère que deux ou trois jours. »

Les autres geôliers ne nous maltraitaient pas, mais quels caractères faux, fourbes, irascibles, haineux ! Si la pitié semble entrer quelquefois dans ces cœurs, c’est qu’un sentiment d’intérêt se trouve à la suite. Je les ai vus faire leur office de bourreaux