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en riant ; étrangler un homme semblait être pour eux une affaire de distraction, d’amusement ; et ceux-là voulaient quelquefois se dire nos amis, comment pouvoir s’y fier ? pour un rien ils se mettaient en colère et battaient les voleurs. Quand le chef entendait le bruit des coups, il venait les empêcher ; alors pour se venger et ne pas exciter l’attention, ils imaginèrent de fixer une pointe de fer en forme d’aiguillon à une baguette de bois qu’ils tenaient à la main, et ils s’en servaient pour piquer les pauvres patients dont nous entendions souvent les soupirs et les cris étouffés. Un pauvre chrétien accablé d’une fièvre violente leur demande un jour un peu d’eau : « Ah ! nous allons t’en donner de l’eau, coquin de chrétien !… » et là-dessus ils se mettent à lui meurtrir la poitrine avec des bâtons pointus, si bien que, deux heures après, ce pauvre malheureux expirait ; on déclara qu’il était mort de maladie. Le cadavre fut emporté et jeté en dehors des murs de la ville, sans que personne s’occupât de constater de quelle manière il était mort, constatation qui ne se fait jamais dans la prison, de sorte que les geôliers meurtriers et assassins sont sûrs de l’impunité.

Il semble qu’il soit difficile de trouver des gens plus vils, plus méchants, plus mauvais ; eh bien ! dans ce lieu il s’en trouve. Ce sont les employés inférieurs ou bourreaux proprement dits. Ils ont des figures de monstres, un aspect repoussant, leur vue fait mal. Ils frappent, écorchent, brisent les jambes, les bras, en se riant de la douleur des patients qu’ils accablent de plaisanteries ignobles. Ils ont l’air de sentir le sang, leur apparition dans l’intérieur de la prison semble annoncer une torture, une exécution, et jette l’effroi et la consternation parmi les détenus. Comment l’espèce humaine peut-elle tomber à ce point de dégradation, d’avilissement, de cruauté, de fourberie ! Mon vieux chrétien n’avait-il pas raison, lorsqu’il disait que les prisons de Corée sont l’image véritable de l’enfer ? je dis les prisons, car toutes, paraît-il, ont le même aspect et, d’après ce que j’ai entendu dire, quelquefois celles des provinces sont encore plus affreuses.

C’est donc là que sont enfermés, que souffrent nos pauvres chrétiens plus méprisés encore que les voleurs ; on dirait que le contraste de leur vertu excite la barbarie des gardiens et des bourreaux ; ce sont des agneaux au milieu des tigres. Ils souffrent sans se plaindre, supportent volontiers les injures sans riposter ; personne du dehors ne peut s’occuper d’eux, ils semblent abandonnés même de leurs parents et de leurs amis qui