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tour monté sur le petit cheval coréen, avec tous les airs d’un mandarin du pays en mission pour son gouvernement. C’est une méprise pour tout le monde et les porteurs disaient : « Quand l’Européen est à cheval, personne ne le reconnaît, il y a beaucoup moins de curieux. » Plus tard, étant malade, je ne pus céder, autant que je l’aurais désiré, ma chaise au mandarin qui paraissait fatigué. « Cela vous fatigue sans doute d’aller à cheval ? — Oh ! non, mais j’ai peur ; » ce qui s’arrange difficilement avec le dicton coréen qu’on m’a plusieurs fois répété en route pour caractériser la Corée et le Japon ; en effet, ils disent : « la Corée se distingue par la bravoure de ses hommes, le Japon par l’habileté de ses ouvriers. » Et mon mandarin militaire qui avait peur de monter sur un petit cheval ! Les porteurs qui connaissaient très bien cette route qu’ils avaient faite plusieurs fois, étant allés même jusqu’à Pékin, m’avertirent qu’à An-tjyou et à Eui-tjyou nous rencontrerions les mêmes difficultés, la même foule, les mêmes troubles qu’à Hpyeng-yang, ce qui en effet ne manqua pas d’arriver, mais je me dispense d’y revenir, il suffit d’en avoir parlé une fois.

An-tjyou est une grande ville près du fleuve Tchyeng-tchyen (eau limpide) ; les grandes barques y viennent déposer les produits des provinces du Sud, ainsi qu’à la ville de Pak-tchyen, distante de 40 lis et située peu loin de la rivière Tjin-tou (tête du passage) qui coule dans un lit vaseux où nous eûmes assez de difficultés pour passer. À Ka-san commence la grande montagne qui, taillée à pic d’un côté, se prolonge jusqu’à Eui-tjyou à trente lieues de distance, on l’appelle Sâi-pyel-ryeng (la montagne ou la chaîne de montagnes de l’étoile du matin). Nous traversons Tyeng-tjyou, ville fortifiée, puis Koath-san où nous passons la nuit. À mesure qu’on approche de la frontière, les fortifications deviennent plus nombreuses et les villes ont toutes des murailles. Je citerai les deux forteresses de Tong-rim et de Sey-rim, ou forêt de l’est et forêt de l’ouest, situées sur les montagnes, dans des passages difficiles dont elles défendent l’accès, ce sont de hautes et fortes murailles dont les portes en plein-cintre sont bâties en pierres de taille ; d’immenses forêts avec des arbres gigantesques les entourent de tous côtés. Lorsque nous traversions ces pays, il vint une rumeur que les mandarins nous donnèrent comme nouvelle certaine. On disait que des navires de guerre étaient venus au port de Ouen-son sur la côte est et menaçaient le royaume d’une guerre certaine, c’étaient, disait-on, des Japonais. Toute la population était en émoi, on s’attendait à chaque instant à apprendre quelque nouvelle de batailles, etc…