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XV

Ici je dois aussi placer une petite anecdote assez extraordinaire : je montais une colline à pied, les porteurs suivaient avec la chaise, le mandarin venait doucement, un peu loin par derrière. Arrivés au sommet, nous nous reposons, je vais examiner les statues d’une de ces petites pagodes qui sont nombreuses sur les grandes routes et les porteurs entrent dans une maison pour se rafraîchir. Tout à coup je vois sortir de cette cabane un bon vieillard à cheveux blancs qui criait : « Comment, il est ici ; mais c’est un saint ! moi qui, depuis si longtemps, désire voir ces hommes ! » Puis m’apercevant, il accourt vers moi aussi vite que ses jambes le lui permettent, me prend, me presse les mains et s’écrie « Oh ! comme j’ai entendu parler de vous ! comme il y a longtemps que je désirais voir votre visage ! un grand bonheur m’était réservé sur mes vieux jours ; je puis mourir maintenant, j’ai vu la figure d’un de ces hommes vénérables qui ont tout quitté, qui s’imposent mille peines, mille fatigues pour venir nous enseigner une belle doctrine. Ce sont des saints, j’ai vu la figure d’un saint ! » J’étais stupéfait de ce préambule, je serrais vivement et affectueusement la main de ce bon vieux qui ne cessait de parler. Se tournant vers les porteurs qui assistaient à la scène, il leur dit : « C’est un homme comme il n’y en a pas chez nous, il n’est venu ici que pour nous instruire ; ce n’est pas du tout, comme le prétendent quelques-uns, pour s’emparer de notre pays, leur but est uniquement de nous enseigner une belle doctrine. Et nous autres, Coréens, nous les maltraitons, à la capitale, on les a pris, on les a mis à mort ; quel malheur pour notre pays où l’on tue ainsi des hommes qui ne veulent que notre bien ! Quelle fureur, quelle injustice ! Jamais ils n’ont fait de mal à personne, ils sont ornés de toutes les vertus ; oh ! que notre gouvernement est cruel et aveugle ! » Les porteurs le regardaient ébahis et, souriant, semblaient dire : c’est vrai.

Il me dit qu’il était né à l’île de Tjinto (au sud-ouest de la Corée) où il avait autrefois vu des moines européens, que depuis quelques années il avait émigré et habitait ce pays ; il avait 72 ans et désirait connaître la religion. Je l’encourageai et je lui dis : « La doctrine que nous annonçons est la seule véritable, elle nous apprend à connaître Dieu, notre Père, et à l’honorer, à faire le