Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/155

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applications. M. Ponto, homme de progrès, a résolument adopté pour principe d’utiliser partout et en toutes choses les forces électriques ; une grande maison comme l’hôtel Ponto arrive ainsi à marcher sans le nombreux personnel qui encombrait les maisons d’autrefois. Plus de domestiques occupés à mettre le désordre au vestiaire, mais un appareil automoteur qui donne les numéros et rend les effets mécaniquement ; plus de valet pour annoncer les invités à l’entrée du salon, mais un phono-annonceur à clavier. Les invités en entrant dans les salons trouvent une sorte de piano dans l’antichambre ; ils n’ont qu’à jouer leurs noms sur le clavier, c’est-à-dire à frapper sur les touches syllabiques, pour que le phono annonce d’une voix discrète ou d’un organe de stentor, à volonté, suivant la force de la pression.

La musique n’est pas exilée de la fête, bien que M. Ponto n’ait engagé aucune artiste lyrique ni retenu aucun orchestre. Chez M. Ponto, comme partout maintenant d’ailleurs, la musique arrive électriquement par les conduits de la grande compagnie de la musique, qui a peu à peu centralisé tous les abonnements et absorbé les petites compagnies rivales, la compagnie de musique légère, la compagnie de musique sérieuse et la compagnie de musique savante.

L’usine de la grande compagnie de la musique s’élève seule maintenant dans Paris. Le musicien, ce fléau du siècle dernier, cet être insinuant et absorbant qu’on avait à juste titre surnommé le choléra des salons, le musicien a disparu. Les seuls survivants de l’espèce, au nombre d’une douzaine, sont employés à l’usine. Enfin il n’y a plus de pianos !

Ô progrès, peux-tu avoir encore des contempteurs ! science, soleil vivifiant et purifiant ! niera-t-on encore tes bienfaits ! Le piano a disparu, la paix, le calme, la douce tranquillité, exilés pendant un siècle, sont revenus au foyer de la famille ; l’esprit a refleuri, les grâces de la conversation, si longtemps étouffées par les gammes, ont pu reparaître, victorieuses enfin de leur féroce ennemi !

Plus de maîtresses de piano, plus de malheureuses jeunes filles se déformant cruellement au physique et au moral, se desséchant le cœur et le cerveau et atrophiant en germe tous les charmes, toutes les exquisités féminines pour étudier sur le clavier l’art d’être désagréables en ménage !

Les fabricants de pianos seuls ont pleuré, les instruments de torture délaissés ont été transformés en buffets ou brûlés, ce qui valait mieux. Certains collectionneurs, par amour du bibelot, ont sauvé quelques-uns de ces barbares instruments, mais ils ne savent pas en jouer ; enfin dans tous