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Russes, Franco-Allemands, Franco-Espagnols ou même Franco-Russo-Anglais, Anglo-Italo-Français, etc., etc. Depuis près d’un siècle, par suite de l’excessive facilité des communications, tous les peuples européens se sont pour ainsi dire fondus en une seule et unique nation.

Il n’y a plus en Europe de types bien tranchés, bien originaux comme autrefois ; mais ce que les types ont perdu comme netteté, les nations l’ont regagné en moelleux et en coulant ; différant à peine par quelques nuances les uns des autres, les peuples s’accordent plus facilement.

C’est du moins ce que disent les philosophes. Les sceptiques pensent que la fusion des peuples n’a pas tout à fait tué la guerre ; on se chamaillera désormais en famille et voilà tout.

Dans un coin du salon, M. Ponto causait précisément de ces choses avec un diplomate belge ou plutôt italo-russo-belge, un député français de sang franco-anglo-italo-portugais et un homme de lettres franco-helvético-gréco-allemand.

« Cette fusion des peuples, disait le diplomate, amènera fatalement la fusion des langues ; il n’y aura pas triomphe d’une langue sur ses rivales ; le caractère éclectique du mouvement indique, au contraire, que toutes les langues actuelles se fondront en un seul idiome. Voyez en quelle quantité les mots étrangers s’infiltrent dans la langue française depuis un siècle, la moindre conversation est parsemée de termes anglais, allemands, italiens… et il en est de même dans toutes les langues.

— Oui, dit l’homme de lettres, le cosmopolitisme actuel est tel que les théâtres vont être obligés de jouer en plusieurs langues en même temps. On a déjà commencé, la Porte-Saint-Martin a deux troupes, une anglaise et une française ; il y a deux jeunes premiers et deux jeunes premières en scène en même temps, ils font exactement les mêmes pas, les mêmes gestes ; mais le jeune premier de l’un des couples roucoule en français et l’autre en anglais. Dans les scènes qui nécessitent un grand nombre de comparses, seigneurs, soldats, peuple, une moitié joue en français et l’autre moitié répète les mêmes phrases en anglais.

— C’est très amusant, dit le diplomate ; quand il y a un duel, un assassinat, on a double émotion ! et les scènes de passion, donc ! et les scènes de séduction !…

— Et le Gymnase ! dit Ponto, c’est encore mieux qu’à la Porte-Saint-Martin, on va jouer en trois langues !

— J’y ai vu jouer hier une vieille pièce du siècle dernier, Antony, de