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LES JOURS MAUVAIS.


Douleur, la plus grande douleur !
Éternelle douleur de douter de soi-même,
Et d’ignorer toujours si l’Art béni qu’on aime
Couronnera votre pâleur.

Devant les belles jeunes vierges,
Douleur de se sentir incapable d’aimer,
Et de n’être plus chaste et digne d’allumer
Ses désirs purs comme des cierges.

Douleur dans les jardins, le soir,
Quand elles vont rêvant à leurs amours prochaines
Et que leur âme en fleur monte à travers les chênes
Avec des parfums d’encensoir.

Douleur de se sentir indigne
Et qu’au lac de son cœur sali, bourbeux, obscur,
Jamais ne flottera, dans des frissons d’azur,
L’innocence d’un pareil cygne !

Oh ! soi-même redevenir
L’homme candide et bon de son adolescence,
Et, rentrant dans son cœur comme après une absence,
Recommencer son avenir !