Page:Rodenbach - La Mer élégante, 1881.djvu/103

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La grand’route s’en va vers le prochain village,
Claire sous le soleil comme un acier poli ;
Le vent semble apporter le murmure affaibli
D’un chariot lointain au pesant attelage.

Là-bas un vieux clocher avec son coq doré
Domine les maisons dans un fouillis de branches ;
On croirait, au milieu d’enfants en robes blanches,
Voir surgir un vieillard superbe et vénéré.

L’air est plein de tiédeur ; pas un arbre ne bouge ;
On fauche les blés mûrs dans les champs d’alentour,
Et sous la faux qui monte et descend tour à tour
Les coquelicots font des taches de sang rouge.

Au lieu du bruit plaintif des flots sur les brisants,
J’écoute les moineaux pépier dans les arbres,
Et les bœufs, bigarrés comme le sont des marbres,
Qui beuglent sous le fouet des petits paysans.

Tout m’étonne et me plait : le troupeau blanc qui broute,
Les saules s’étirant dans l’eau, la tête en bas,
Et la vieille à son seuil qui — tricotant des bas —
Me croit fou quand je passe en chantant sur la route !…