Page:Rodenbach - La Mer élégante, 1881.djvu/104

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Ô mon pays de Flandre aux beaux soleils couchants,
Je l’aime avec l’amour qu’un fils porte à sa mère ;
Si le monde est mauvais, si la vie est amère,
Je trouve au moins l’oubli dans le calme des champs.

Je l’aime et quand je vois un ruban de fumée
Sur un toit que le lierre agile a festonné
J’ai le regret farouche et tardif d’être né
Dans un logis banal d’une ville enfumée.

Oh ! que n’ai-je vécu, libre et robuste enfant,
Dans une ferme, auprès des moutons et des vaches,
Avec des fruits volés me barbouillant de taches
Et grandissant heureux sans devenir savant.

Puis à vingt ans, pendant un soir de la kermesse,
J’aurais choisi ma femme à mon goût — sans souffrir,
Convaincu que le sol pourrait tous nous nourrir
Et que mon père aurait de quoi payer la messe.

Je n’aurais pas traîné sur les pavés impurs
Ma grande soif d’aimer et ma soif de connaître ;
Je n’aurais pas pleuré, souffert, douté peut-être…
J’aurais vécu tranquille entre mes quatre murs.