Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/170

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l’avait suivi dans la chambre de verre. Elle était là, tout près de lui, invisible, mais présente et murmurante. Ils se disaient des choses comme on ne s’en dit qu’au sommet des tours et des montagnes, les choses du seuil de l’Infini et que Dieu peut entendre.

C’est pour elle que Joris joua du carillon. Il illustra leur histoire par les cloches. Ce fut comme la rencontre d’un malheur et d’une joie : d’abord une lamentation des basses, le ruissellement des sons graves, une eau noire versée des urnes intarissables, un déluge de bruit disant un désastre et un désespoir sans fin ; puis le vol blanc d’une clochette frêle, essor insistant et grandissant, palpitation argentine d’une venue de colombe qui annonce le salut et l’arc-en-ciel. Toute la vie du carillonneur s’envola de la tour.

Lui-même ne se rendait pas toujours compte de son jeu et que les cloches ébruitaient son âme. Cette fois, pourtant, il fut conscient et s’avoua que Godelieve était la colombe du déluge, la petite cloche blanchissant le désastre. À cause de la phrase qui ne le quittait plus et était montée avec lui, il subit peu à peu le charme. Il n’avait plus hâte de redescendre dans la vie, puisqu’il avait entraîné la vie à sa suite. La voix de Godelieve vivait avec lui, là-haut. Maintenant ils étaient à deux. Joris s’attarda de longues heures, répondant à la voix, escomptant un avenir meilleur. Il ignorait lequel. Pour le moment, il était